Suite à une victoire éclatante aux premières véritables élections auxquelles les Congolais ont participé, Patrice Lumumba est devenu premier ministre du Congo du 24 juin 1960 jusqu’à son renversement et son emprisonnement le 14 septembre de la même année par le militaire Joseph-Désiré Mobutu et ses soutiens. Ce dernier a ensuite dirigé le pays, d’abord en sous-main, puis de manière directe à partir de 1965 jusqu’à son renversement en 1997.
Ludo De Witte : Lumumba a été la victime de l’impérialisme. En fait on voulait continuer l’impérialisme au Congo, remplacer un système colonial par un système néocolonial
Le 17 janvier 1961, Lumumba, ce grand combattant pour l’indépendance du Congo, pour la justice sociale et pour l’internationalisme a été torturé puis exécuté, en compagnie de plusieurs de ses camarades, par des dirigeants congolais complices des puissances occidentales ainsi que par des policiers et des militaires belges. Lumumba n’avait que 35 ans et aurait pu continuer à jouer un rôle très important, tant dans son pays, qu’en Afrique et au niveau mondial.
Comme l’a écrit la journaliste Colette Braeckman : « Patrice Lumumba, Premier ministre congolais destitué en septembre, placé en résidence surveillée puis détenu à Thysville, avait été envoyé au Katanga le 17 janvier 1961. Cinq heures après son arrivée sur le sol katangais, il était mis à mort avec ses deux compagnons Maurice M’Polo et Robert Okito. [1] »
Parmi les dirigeants congolais qui ont participé directement à la mise à mort de Lumumba, on trouve Moïse Tshombé président proclamé de la province congolaise du Katanga qui a fait sécession le 11 juillet 1960, à peine deux semaines après le début de l’indépendance que le Congo a obtenue le 30 juin 1960. La sécession du Katanga proclamée par Moïse Tshombe fut soutenue par la Belgique et des grandes entreprises privées minières belges très présentes dans cette partie du Congo (voir plus loin) afin de déstabiliser le gouvernement du premier ministre Patrice Lumumba.
Au moins cinq policiers et militaires belges étaient également présents lors de l’assassinat. Joseph-Désiré Mobutu, un des principaux responsables congolais de l’assassinat de Lumumba, n’était pas présent sur place le jour de l’assassinat qui a eu lieu dans l’Est alors qu’il se trouvait à l’Ouest du pays dans la capitale.
La responsabilité de la Belgique dans l’assassinat de Lumumba en janvier 1961 a été établie par plusieurs auteurs, notamment par Ludo De Witte dans L’Assassinat de Lumumba, et cela a fait l’objet des travaux d’une commission du parlement belge en 2001-2002. Lire également l’interview donnée par Ludo De Witte au CADTM en 2018, https://www.cadtm.org/Ludo-de-Witte-Il-faut-changer-les-mentalites-et-decoloniser-completement-l
Dans cette interview, Ludo De Witte résume simplement les causes de l’assassinat de Lumumba : « Lumumba a été la victime de l’impérialisme. En fait on voulait continuer l’impérialisme au Congo, remplacer un système colonial par un système néocolonial. Un système où il y aurait des noirs, des Congolais, qui seraient des politiciens et des ministres mais, en coulisse, ce serait toujours les pouvoirs occidentaux et leurs grandes sociétés qui domineraient le pays. C’est bien ça le néocolonialisme contre lequel Lumumba voulait lutter et c’est pour cela qu’il a été assassiné. ».
Il convient de prendre connaissance du discours du premier ministre de la République du Congo, Patrice Lumumba face à Baudouin, roi des Belges.
Baudouin avait déclaré dans son allocution : « L’indépendance du Congo constitue l’aboutissement de l’œuvre conçue par le génie du roi Léopold II, entreprise par lui avec un courage tenace et continuée avec persévérance par la Belgique ».
- Lors de la proclamation de l’indépendance du Congo le 30 juin 1960, le Premier ministre du Congo, Patrice Emery Lumumba, prononce un discours mémorable (Cliquer sur l’image pour écouter le discours)
Lumumba dans son discours veut que justice soit rendue au peuple congolais, en voici une version intégrale sous forme audioet sous forme écrite :
Discours prononcé au siège du parlement après ceux du Roi Baudouin et du Président Joseph Kasa-vubu, le jour de la proclamation de l’indépendance de la République démocratique du Congo.
« Congolais et Congolaises,
Combattants de l’indépendance aujourd’hui victorieux,
Je vous salue au nom du gouvernement congolais.
A vous tous, mes amis, qui avez lutté sans relâche à nos côtés, je vous demande de faire de ce 30 juin 1960 une date illustre que vous garderez ineffaçablement gravée dans vos cœurs, une date dont vous enseignerez avec fierté la signification à vos enfants, pour que ceux-ci à leur tour fassent connaître à leurs fils et leurs petits-fils l’histoire glorieuse de notre lutte pour la liberté.
Car cette indépendance du Congo, si elle est proclamée aujourd’hui dans l’entente avec la Belgique, pays ami avec qui nous traitons d’égal à égal, nul congolais digne de ce nom ne pourra jamais oublier cependant que c’est par la lutte qu’elle a été conquise, une lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une lutte dans laquelle nous n’avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nos souffrances, ni notre sang.
Cette lutte, qui fut de larmes, de feu et de sang, nous en sommes fiers jusqu’au plus profond de nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable pour mettre fin à l’humiliant esclavage qui nous était imposé par la force. Ce que fut notre sort en 80 ans de régime colonialiste, nos blessures sont trop fraîches et trop douloureuses encore pour que nous puissions les chasser de notre mémoire. Nous avons connu le travail harassant, exigé en échange de salaires qui ne nous permettaient ni de manger, ni de nous vêtir ou de nous loger décemment, ni d’élever nos enfants comme des êtres chers.
Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions nègres. Qui oubliera qu’à un noir on disait « tu », non certes comme à un ami, mais parce que le « vous » honorable était réservé aux seuls Blancs ?
Nous avons connu que nos terres furent spoliées au nom de textes prétendument légaux qui ne faisaient que reconnaître le droit du plus fort. Nous avons connu que la loi n’était jamais la même selon qu’il s’agissait d’un Blanc ou d’un Noir : accommodante pour les uns, cruelle et inhumaine pour les autres. Nous avons connu les souffrances atroces des relégués pour opinions politiques ou croyances religieuses ; exilés dans leur propre patrie, leur sort était vraiment pire que la mort elle-même.
Nous avons connu qu’il y avait dans les villes des maisons magnifiques pour les blancs et des paillotes croulantes pour les Noirs, qu’un Noir n’était admis ni dans les cinémas, ni dans les restaurants, ni dans les magasins dits européens ; qu’un Noir voyageait à même la coque des péniches, aux pieds du blanc dans sa cabine de luxe.
Qui oubliera enfin les fusillades où périrent tant de nos frères, les cachots où furent brutalement jetés ceux qui ne voulaient plus se soumettre au régime d’une justice d’oppression et d’exploitation ?
Patrice Lumumba : Qui oubliera qu’à un noir on disait « tu », non certes comme à un ami, mais parce que le « vous » honorable était réservé aux seuls Blancs ?
[…] Nous avons connu que la loi n’était jamais la même selon qu’il s’agissait d’un Blanc ou d’un Noir […] Nous avons connu les souffrances atroces des relégués pour opinions politiques ou croyances religieuses ; exilés dans leur propre patrie, leur sort était vraiment pire que la mort elle-même
Tout cela, mes frères, nous en avons profondément souffert. Mais tout cela aussi, nous que le vote de vos représentants élus a agréé pour diriger notre cher pays, nous qui avons souffert dans notre corps et dans notre cœur de l’oppression colonialiste, nous vous le disons tout haut, tout cela est désormais fini. La République du Congo a été proclamée et notre pays est maintenant entre les mains de ses propres enfants. Ensemble, mes frères, mes sœurs, nous allons commencer une nouvelle lutte, une lutte sublime qui va mener notre pays à la paix, à la prospérité et à la grandeur. Nous allons établir ensemble la justice sociale et assurer que chacun reçoive la juste rémunération de son travail. Nous allons montrer au monde ce que peut faire l’homme noir quand il travaille dans la liberté et nous allons faire du Congo le centre de rayonnement de l’Afrique toute entière. Nous allons veiller à ce que les terres de notre patrie profitent véritablement à ses enfants. Nous allons revoir toutes les lois d’autrefois et en faire de nouvelles qui seront justes et nobles.
Nous allons mettre fin à l’oppression de la pensée libre et faire en sorte que tous les citoyens jouissent pleinement des libertés fondamentales prévues dans la Déclaration des droits de l’Homme.
Nous allons supprimer efficacement toute discrimination quelle qu’elle soit et donner à chacun la juste place que lui vaudront sa dignité humaine, son travail et son dévouement au pays. Nous allons faire régner non pas la paix des fusils et des baïonnettes, mais la paix des cœurs et des bonnes volontés.
Et pour cela, chers compatriotes, soyez sûrs que nous pourrons compter non seulement sur nos forces énormes et nos richesses immenses, mais sur l’assistance de nombreux pays étrangers dont nous accepterons la collaboration chaque fois qu’elle sera loyale et ne cherchera pas à nous imposer une politique quelle qu’elle soit. Dans ce domaine, la Belgique qui, comprenant enfin le sens de l’histoire, n’a pas essayé de s’opposer à notre indépendance, est prête à nous accorder son aide et son amitié, et un traité vient d’être signé dans ce sens entre nos deux pays égaux et indépendants. Cette coopération, j’en suis sûr, sera profitable aux deux pays. De notre côté, tout en restant vigilants, nous saurons respecter les engagements librement consentis.
Ainsi, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, le Congo nouveau, notre chère République, que mon gouvernement va créer, sera un pays riche, libre et prospère. Mais pour que nous arrivions sans retard à ce but, vous tous, législateurs et citoyens congolais, je vous demande de m’aider de toutes vos forces. Je vous demande à tous d’oublier les querelles tribales qui nous épuisent et risquent de nous faire mépriser à l’étranger.
Je demande à la minorité parlementaire d’aider mon gouvernement par une opposition constructive et de rester strictement dans les voies légales et démocratiques. Je vous demande à tous de ne reculer devant aucun sacrifice pour assurer la réussite de notre grandiose entreprise. Je vous demande enfin de respecter inconditionnellement la vie et les biens de vos concitoyens et des étrangers établis dans notre pays. Si la conduite de ces étrangers laisse à désirer, notre justice sera prompte à les expulser du territoire de la République ; si par contre leur conduite est bonne, il faut les laisser en paix, car eux aussi travaillent à la prospérité de notre pays. L’indépendance du Congo marque un pas décisif vers la libération de tout le continent africain.
Voilà, Sire, Excellences, Mesdames, Messieurs, mes chers compatriotes, mes frères de race, mes frères de lutte, ce que j’ai voulu vous dire au nom du gouvernement en ce jour magnifique de notre indépendance complète et souveraine. Notre gouvernement fort, national, populaire, sera le salut de ce pays.
J’invite tous les citoyens congolais, hommes, femmes et enfants, à se mettre résolument au travail en vue de créer une économie nationale prospère qui consacrera notre indépendance économique.
Hommage aux combattants de la liberté nationale !
Vive l’indépendance et l’Unité africaine !
Vive le Congo indépendant et souverain ! »
Source : http://www.millebabords.org/IMG/article_PDF/Discours-de-Patrice-E-Lumumba-le-30-juin-1960-le-jour-de-la-proclamation-de-l_a14656.pdf
Lumumba, combattant internationaliste
Avant de devenir premier ministre, Lumumba a établi des liens solides avec une série de mouvements et de personnalités anti impérialistes, panafricanistes et internationalistes. En décembre 1958, il est présent à la Conférence des Peuples africains à Accra. Il y rencontre, entre autres, l’Antillo-Algérien Frantz Fanon, le Ghanéen Kwame Nkrumah et le Camerounais Félix-Roland Moumié [2]. Il y prononce un discours dans lequel il déclare : « Notre mouvement a pour but fondamental la libération du peuple congolais du régime colonialiste et son accession à l’indépendance. Nous fondons notre action sur la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme – droits garantis à tous les citoyens de l’humanité par la Charte des Nations Unies – et estimons que le Congo, en tant que société humaine, a le droit d’accéder au rang des peuples libres. ». Il le conclut en ses mots : « C’est pourquoi nous crions vivement avec tous les délégués : A bas le colonialisme et l’impérialisme. A bas le racisme et le tribalisme. Et vive la nation congolaise, vive l’Afrique indépendante. »
Il faut préciser qu’au cours de l’année 1959, la répression organisée par la Belgique colonialiste a fait des dizaines, voire des centaines, de morts
À l’issue de cette conférence, Lumumba, est nommé membre permanent du comité de coordination, comme le rappelle Saïd Bouamama dans « Figures de la révolution africaine » [3]. Lumumba était également proche de militants belges anti colonialistes et anti capitalistes comme Jean Van Lierde qui était engagé dans le soutien à la révolution algérienne et qui entretenait des liens étroits [4] avec l’hebdomadaire La Gauche et avec son animateur principal Ernest Mandel.
Quelques semaines après la conférence d’Accra, Lumumba et son mouvement organisent dans la capitale du Congo belge à l’époque, une réunion pour rendre compte des résultats de ce sommet anticolonialiste. Il y revendique l’indépendance du Congo devant plus de 10 000 personnes. Il décrit l’objectif du Mouvement National Congolais en évoquant « la liquidation du régime colonialiste et de l’exploitation de l’homme par l’homme » [5].
Selon Le Monde diplomatique de février 1959, suite à cette conférence, une émeute éclata à Léopoldville à partir du 4 janvier 1959. Voici ce qu’en dit le mensuel français : « Le point de départ de l’émeute est en relation directe avec la conférence panafricaine d’Accra. C’est en effet au moment où les leaders du Mouvement national congolais — au premier rang desquels le président du Mouvement, M. Lumumba — s’apprêtaient à tenir une réunion publique sur ce sujet que les premiers troubles ont éclaté. Avec l’autorisation du gouverneur général du Congo belge, M. Cornelis, une délégation de nationalistes congolais, conduite par M. Lumumba, s’était rendue au Ghana en décembre. Et c’est un compte rendu de son voyage et de ses travaux qu’elle s’apprêtait à faire le 4 janvier, quand la police donna l’ordre aux conférenciers et à ceux qui étaient venus les entendre de se disperser. [6] »
Il faut préciser qu’au cours de l’année 1959, la répression organisée par la Belgique colonialiste a fait des dizaines, voire des centaines, de morts. Un exemple de l’ampleur de la répression : en octobre 1959, lors du congrès national du Mouvement national congolais (MNC) à Stanleyville, les gendarmes ont tiré sur la foule en faisant 30 morts et des centaines de blessés. Lumumba est arrêté quelques jours plus tard, il est jugé en janvier 1960 et condamné à 6 mois de prison le 21 janvier 1960.
Mais les protestations sont telles qu’à Bruxelles, le pouvoir prend peur et décide de lâcher du lest en convoquant des élections locales auxquelles les Congolais sont invités à participer. Lumumba est libéré le 26 janvier quelques jours après sa condamnation. Finalement, après les élections locales, des élections générales sont organisées en mai 1960, les premières dans l’histoire du Congo belge. Le Mouvement national congolais (MNC) en sort vainqueur et, en conséquence, Lumumba est nommé premier ministre.
L’enchaînement des évènements qui mène au coup d’État contre Lumumba et à son assassinat
Suite au discours de Lumumba le 30 juin, le gouvernement belge, la monarchie et les patrons des grandes entreprises belges présentes au Congo décident d’écarter Lumumba et de provoquer la sécession du Katanga, la province la plus riche en matières premières. Tout de suite se présentent des complices congolais en la personne de Moïse Tshombé, proclamé président du Katanga le 11 juillet 1960, puis en la personne du président Joseph Kasa-Vubu qui révoque Lumumba en septembre 1960 sans en avoir le pouvoir constitutionnel, et en Joseph-Désiré Mobutu qui dirige quelques jours plus tard un coup d’État et fait arrêter Lumumba alors que ses ministres lui ont confirmé leur confiance et que son parti est le principal parti au parlement. Mobutu, qui a fait une carrière militaire pendant la colonie et est un ancien journaliste dans la presse congolaise pro-coloniale, a réussi à obtenir un poste de colonel dans la nouvelle armée et s’est retourné très vite contre le gouvernement congolais.
L’opération qui mène à l’exécution de Lumumba est directement accompagnée et dirigée par des Belges aux ordres de Bruxelles. De leurs lieux de détention, le 17 janvier 1961, Lumumba, Mpolo et Okito ont été emmené en avion, piloté par un équipage belge, à Élisabethville, capitale du Katanga, et livrés aux autorités locales. Ils ont ensuite été torturés par des responsables katangais, dont Moïse Tshombé, et par des Belges. Ils sont fusillés le soir même, par des soldats sous le commandement d’un officier belge
Entretemps la Belgique avait envoyé au Congo dès juillet 1960, 11 000 soldats (ce qui est énorme) dont 9 000 au Katanga. Ces 11 000 soldats belges sont acheminés au Congo en dix jours, précédés par des troupes spéciales de paras-commandos. Cette intervention militaire constitue une véritable agression contre un État désormais indépendant. Il faut souligner que la Belgique, membre de l’OTAN, a disposé jusque dans les années 1980, en Allemagne de l’Ouest, d’une zone militaire suréquipée s’étendant de la frontière belge au rideau de fer. L’état-major belge avait à sa disposition un arsenal militaire considérable, en partie d’origine américaine, et l’OTAN lui a permis de déployer avions, transports de troupes et même des navires de la marine de guerre qui ont bombardé des positions congolaises dans l’estuaire du fleuve Congo. Le gouvernement des États-Unis et la CIA sont aussi à la manœuvre aux « côtés » de la Belgique, avec qui ils ont décidé d’assassiner Lumumba [7]. De même que la France. Dans un télégramme en date du 26 août 1960, le directeur de la CIA Allen Dulles indique à ses agents à Léopoldville au sujet de Lumumba : « Nous avons décidé que son éloignement est notre objectif le plus important et que, dans les circonstances actuelles, il mérite grande priorité dans notre action secrète » [8].
Soulignons que le 12 août 1960, la Belgique avait signé un accord avec Tshombé, reconnaissant de facto l’indépendance du Katanga. Les tentatives du gouvernement de Lumumba pour faire face à cette sécession étaient tout à fait légitimes, mais étaient combattues par les grandes puissances occidentales.
Malgré son arrestation par Mobutu, Lumumba ne capitule pas et il garde le contact avec les ministres qui restent fidèles à leur engagement et avec ses camarades. Un gouvernement clandestin dirigé par Antoine Gizenga s’établit à Stanleyville. Lumumba réussit à échapper à ses geôliers le 27 novembre 1960 et cherche à rejoindre le gouvernement clandestin à Stanleyville, mais il est arrêté quelques jours plus tard en route. En janvier 1961, alors que Lumumba est toujours très populaire, Mobutu et les puissances occidentales craignent qu’une révolte populaire aboutisse à la libération du leader et décide de le faire exécuter. L’opération qui mène à l’exécution de Lumumba est directement accompagnée et dirigée par des Belges aux ordres de Bruxelles. De leurs lieux de détention, le 17 janvier 1961, Lumumba, Mpolo et Okito ont été emmené en avion, piloté par un équipage belge, à Élisabethville, capitale du Katanga, et livrés aux autorités locales. Ils ont ensuite été torturés par des responsables katangais, dont Moïse Tshombé, et par des Belges. Ils sont ensuite fusillés le soir même, par des soldats sous le commandement d’un officier belge.
Selon le témoignage du Belge Gerard Soete, commissaire de police chargé à l’époque de mettre en place une “police nationale katangaise”, les trois corps ont été transportés à 220 kilomètres du lieu d’exécution, et ont été enfouis dans la terre derrière une termitière, en pleine savane boisée.
L’Agence France Presse qui a recueilli le témoignage de ce commissaire de police belge rapporte que 3 trois jours plus tard, les corps ont de nouveau été déplacés afin de les faire disparaître définitivement. Gerard Soete a affirmé avoir été accompagné d’”un autre blanc” et de quelques congolais, quand ils ont découpé à la scie les corps des trois martyrs avant de les mettre à dissoudre dans de l’acide [9].
Mobutu et Ronald Reagan
Le soutien de la Belgique à la dictature de Mobutu
L’armée belge est intervenue à deux reprises au Congo pour aider Mobutu et son régime dictatorial à mettre fin à des actions de résistance d’organisations lumumbistes, la première fois en novembre 1964 avec l’opération Dragon Rouge et Dragon Noir respectivement à Stanleyville et à Paulis. A cette occasion, l’opération a été menée conjointement par l’armée belge, l’armée de Mobutu, l’État-major de l’armée des États-Unis et des mercenaires parmi lesquels des Cubains anti-castrites.
Dans un discours prononcé à l’assemblée générale des Nations unies en novembre 1964, Ernesto Che Guevara avait dénoncé cette intervention. Il l’a aussi dénoncée dans un discours prononcé à Santiago de Cuba en disant : « aujourd’hui, le souvenir plus présent, plus poignant que tout autre est certainement celui du Congo et de Lumumba. Aujourd’hui, dans ce Congo si éloigné de nous et pourtant tellement présent, il y a une histoire que nous devons connaître et une expérience qui doit nous être utile. L’autre jour, les parachutistes belges ont pris d’assaut la ville de Stanleyville. » (extrait du Discours de Che Guevara à Santiago de Cuba, le 30 novembre 1964, à l’occasion du 8e anniversaire du soulèvement de la ville mené par Frank País https://blogs.mediapart.fr/le-cri-des-peuples/blog/091017/paroles-immortelles-du-martyr-ernesto-che-guevara ).
La deuxième intervention de l’armée belge s’est déroulée à Kolwezi au cœur de la région minière du Shaba (Katanga) en mai 1978 en collaboration avec l’armée française et celle de Mobutu.
Procédure judiciaire toujours en cours en Belgique en ce qui concerne l’assassinat de Lumumba.
La justice belge n’a toujours pas rendu de jugement sur l’assassinat de Lumumba. L’affaire n’a pas été classée grâce à l’action de tous ceux et de toutes celles qui veulent que justice soit rendue. La famille de Lumumba continue son action pour exiger la vérité. Un juge d’instruction belge est toujours en charge de l’affaire car l’assassinat a été qualifié de crime de guerre pour lequel il n’y a pas de prescription. Et comme le souligne l’avocat de la famille, Christophe Marchand, cité par la RTBF le 23 juin 2011 « les principaux commanditaires sont morts aujourd’hui (…) mais d’anciens conseillers et attachés de cabinet du ministère des Affaires étrangères sont toujours vivants ».
Lumumba à Bruxelles (1960) (CC – Wikimedia)
La figure de Lumumba a traversé l’histoire et constitue encore aujourd’hui un exemple pour tous ceux et celles pour l’émancipation des peuples. Lumumba n’a jamais capitulé.
Sa popularité était telle sous le régime du dictateur Mobutu que celui-ci a décrété en 1966 que Patrice Lumumba était un héro national. Non content de l’avoir renversé en septembre 1960 puis d’avoir été un des principaux organisateurs de son assassinat, il a essayé de s’approprier une partie de son aura. Le jour de son exécution, le 17 janvier, est un jour férié au Congo-Kinshasa.
À Bruxelles, suite à des années d’action des militant-es anti-colonialistes, le conseil municipal de Bruxelles-Ville a voté le 23 avril 2018 la création d’une place Patrice-Lumumba, qui a été officiellement inaugurée le 30 juin de la même année, date du 58e anniversaire de l’indépendance de la République démocratique du Congo.
Cela est bien peu de chose.
Au-delà de dire la vérité sur la lutte de Lumumba et d’exiger que justice lui soit rendue, l’important est de prolonger son combat et celui de tous les Congolais et Congolaises qui ont lutté et luttent pour qu’on mette fin à toutes les formes de spoliation, d’oppression et d’exploitation.
C’est pourquoi, le CADTM considère que les autorités de la Belgique doivent :
- Reconnaître publiquement et nommer l’ensemble des méfaits et crimes commis par Léopold II et le royaume de Belgique à l’encontre du peuple congolais, et de lui adresser en conséquence des excuses officielles ;
- Approfondir un travail de mémoire, en impliquant les acteurs concernés, tant dans l’enseignement que dans les activités d’éducation populaire, en passant par les espaces institutionnels ;
- Procéder à une restitution de l’ensemble des biens culturels congolais ;
- Soutenir activement une remise en cause de tous les symboles colonialistes dans l’espace public belge ;
- Réaliser à un audit historique de la dette afin de procéder à des réparations et rétrocessions financières inconditionnelles pour les montants perçus en conséquence de la colonisation du Congo ;
- Agir au sein des instances multilatérales (Banque mondiale, FMI, Club de Paris, etc.) afin que leurs membres procèdent à une annulation totale et inconditionnelle des dettes odieuses de la République démocratique du Congo ;
- Soutenir publiquement tout moratoire sur le remboursement de la dette qui serait décrété par le gouvernement congolais afin d’améliorer le système de santé public et de faire face à l’épidémie de Covid-19 et d’autres maladies qui provoquent des décès qui sont tout à fait évitables si les dépenses de santé publique étaient nettement accrues.
Le CADTM apporte son soutien aux différents collectifs qui en Belgique convoquent des actions dans la foulée de Black Lives Matter et tous ceux qui agissent sur le thème de la mémoire coloniale.
Le CADTM apporte son soutien au peuple congolais pour faire face aux conséquences sanitaires, économiques et sociales de la crise du Covid-19. Malgré les diktats des créanciers et les graves manquements des gouvernements congolais successifs qui se traduisent par une sévère répression et un déni flagrant des droits humains fondamentaux, les mouvements sociaux congolais résistent. Le CADTM apporte son soutien à ces luttes qui visent à faire triompher la justice sociale.
Pour en savoir plus sur les relations entre la Belgique et le Congo : Voir les Annexe 1 et 2 ou bien lire Éric Toussaint, Réponse à la lettre de Philippe, roi des Belges, sur les responsabilités de la Belgique dans l’exploitation du peuple congolais https://www.cadtm.org/Reponse-a-la-lettre-de-Philippe-roi-des-Belges-sur-les-responsabilites-de-la
Pour en savoir plus sur la dette illégitime du Congo : Généalogie de la dette en République démocratique du Congo https://www.cadtm.org/Genealogie-de-la-dette-en-Republique-democratique-du-Congo
Annexe 1 : Les crimes de la Belgique avant l’indépendance du Congo
Les crimes de la Belgique colonialiste au Congo avant son indépendance (1885-1960)
On peut considérer, sans risque d’erreur, que le Roi des Belges et l’État indépendant du Congo, qu’il dirigeait avec l’accord du gouvernement et du parlement belges de l’époque, sont responsables de « crimes contre l’humanité » commis de manière délibérée
On peut considérer, sans risque d’erreur, que le Roi des Belges et l’État indépendant du Congo, qu’il dirigeait avec l’accord du gouvernement et du parlement belges de l’époque, sont responsables de « crimes contre l’humanité » commis de manière délibérée. Ces crimes ne constituent pas des bavures, ils sont le résultat direct du type d’exploitation auquel le peuple congolais était soumis. Certains auteurs, et non des moindres, ont parlé de « génocide ». Je propose de ne pas engager un débat qui se focalise sur cette question parce qu’il est difficile d’établir exactement des données chiffrées. Certains auteurs sérieux estiment que la population congolaise en 1885 atteignait 20 millions et qu’au moment où Léopold II doit transmettre en 1908 son Congo à la Belgique pour en faire le Congo belge, il restait 10 millions de Congolais. Ce sont des estimations d’auteurs sérieux, mais difficiles à prouver dans la mesure où il n’y avait pas de recensement de population.
La période coloniale pendant laquelle la Belgique a pris possession du Congo (1908-1960)
Léopold II a cherché lui-même à se défaire du Congo car en le transférant à la Belgique il se débarrassait des dettes qu’il avait accumulées auprès des banques. La Belgique en acceptant la demande de Léopold II héritait des dettes qu’il avait contractées afin d’exploiter au maximum le peuple congolais. Le Roi avait à son profit personnel accaparé et accumulé des richesses, il avait fait réaliser des dépenses énormes en Belgique pour renforcer son pouvoir et son image. Mais également de grandes entreprises capitalistes belges et étrangères en avaient largement profité : les fabricants et marchands d’armes belges, les entreprises qui fournissaient les équipements, les entreprises qui exploitaient et transformaient le caoutchouc naturel et bien d’autres.
L’État belge a hérité du Congo et des dettes de Léopold II ce qui a pesé dans la poursuite de l’exploitation du peuple congolais.
Pendant la domination de la Belgique sur le Congo, les grandes entreprises capitalistes belges ont réalisé un maximum de bénéfices grâce à l’exploitation des ressources naturelles colossales de ce pays principalement en minerais de toutes sortes. L’État belge remboursait les dettes contractées par Léopold II et en accumulait de nouvelles et aidaient le grand capital belge à en titrer un maximum de bénéfices.
Le peuple congolais n’avait pas de véritables droits. Le système d’enseignement était déplorable car la Belgique voulait éviter que les Congolais n’accèdent à l’enseignement supérieur et universitaire.
Pendant la domination de la Belgique sur le Congo, les grandes entreprises capitalistes belges ont réalisé un maximum de bénéfices grâce à l’exploitation des ressources naturelles colossales de ce pays principalement en minerais de toutes sortes
Le peuple congolais de son côté n’était pas seulement exploité sur son territoire natal, il a été mis à contribution par la Belgique pendant les différentes guerres auxquelles elle a participé notamment dans la perspective d’obtenir les territoires des colonies allemandes du Rwanda et du Burundi à l’Est du Congo. Des milliers de Congolais sont morts loin de chez eux afin de participer à des guerres qui déchiraient entre elles les puissances capitalistes européennes.
Et effectivement comme la Belgique a fait partie du camp des vainqueurs de la première guerre mondiale, elle a pu agrandir son domaine colonial en obtenant de l’empire allemand le Rwanda et le Burundi grâce au traité de Versailles de 1919.
Pendant la deuxième guerre mondiale, c’est avec de l’uranium extrait de la province congolaise du Katanga que les États-Unis ont fabriqué les bombes atomiques qui ont anéanti les populations d’Hiroshima et de Nagazaki au Japon en 1945. En remerciement de cet uranium, les États-Unis ont annulé après la seconde guerre mondiale la dette que la Belgique leur devait.
Par contre, lorsque la Belgique a accepté l’indépendance du Congo le 30 juin 1960, elle a voulu imposer au gouvernement congolais dirigé par Patrice Lumumba qu’il accepte de reprendre la dette que la Belgique avait accumulée auprès de la Banque mondiale au cours des années 1950 pour exploiter le Congo « belge ».
Lumumba a refusé. C’est une des raisons qui ont poussé la Belgique à préparer et à participer directement à l’assassinat de Lumumba en janvier 1961.
Annexe 2 : Les crimes de la Belgique après l’indépendance du Congo
Avec la complicité de la Banque mondiale, la Belgique a forcé le peuple congolais à rembourser une dette qui avait servi à l’exploitation coloniale
Dans le livre Banque mondiale : le Coup d’État permanent paru en 2006 [10], de mon côté, j’ai mis en évidence le fait que la dette que la Belgique avait contractée auprès de la Banque mondiale au cours des années 1950 a été indûment mise à charge du peuple congolais grâce à la complicité de Mobutu qui avait organisé l’arrestation puis participé activement à l’assassinat de Lumumba.
De quoi s’agit-il ? En violation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, la Banque mondiale a octroyé des prêts à la Belgique, à la France, à la Grande-Bretagne, pour financer des projets dans leurs colonies [11]. Comme le reconnaissent les historiens de la Banque : « Ces prêts qui servaient à alléger la pénurie de dollars des puissances coloniales européennes, étaient largement destinés aux intérêts coloniaux, particulièrement dans le secteur minier, que ce soit par l’investissement direct ou l’aide indirecte, comme pour le développement du transport et des mines » [12]. Ces prêts permettent aux pouvoirs coloniaux de renforcer le joug qu’ils exercent sur les peuples qu’ils ont colonisés. Ils contribuent à approvisionner les métropoles coloniales en minerais, en produits agricoles, en combustible. Dans le cas du Congo belge, les millions de dollars qui lui ont été prêtés pour des projets décidés par le pouvoir colonial ont presque totalement été dépensés par l’administration coloniale du Congo sous forme d’achat de produits exportés par la Belgique. Le Congo belge a « reçu » en tout 120 millions de prêts (en 3 fois) dont 105,4 millions ont été dépensés en Belgique [13]. Pour le gouvernement de Patrice Lumumba, il était inconcevable de rembourser cette dette à la Banque mondiale alors qu’elle avait été contractée par la Belgique pour exploiter le Congo belge.
Les choses changent en 1965 : suite au coup militaire de Mobutu, le Congo reconnaît qu’il a une dette à l’égard de la Banque mondiale. Cette dette, en réalité, était due par la Belgique à la Banque mondiale.
Le droit international est clair. Un cas comparable s’est présenté dans le passé et a été tranché par le Traité de Versailles. Lors de la reconstitution de la Pologne en tant qu’État indépendant après la première guerre mondiale, il a été décidé que les dettes contractées par l’Allemagne pour coloniser la partie de la Pologne qu’elle avait soumise ne seraient pas à charge du nouvel État indépendant. Le traité de Versailles du 28 juin 1919 stipulait : « La partie de la dette qui, d’après la Commission des Réparations (…), se rapporte aux mesures prises par les gouvernements allemand et prussien en vue de la colonisation allemande de la Pologne, sera exclue de la proportion mise à la charge de celle-ci… » [14]. Le Traité prévoit que les créanciers qui ont prêté à l’Allemagne pour des projets en territoire polonais ne peuvent réclamer leur dû qu’à cette puissance et pas à la Pologne. Alexander Nahum Sack, le théoricien de la dette odieuse, précise dans son traité juridique de 1927 : « Lorsque le gouvernement contracte des dettes afin d’asservir la population d’une partie de son territoire ou de coloniser celle-ci par des ressortissants de la nationalité dominante, etc., ces dettes sont odieuses pour la population indigène de cette partie du territoire de l’État débiteur » [15].
Les choses changent en 1965 : suite au coup militaire de Mobutu, le Congo reconnaît qu’il a une dette à l’égard de la Banque mondiale. Cette dette, en réalité, était due par la Belgique à la Banque mondiale
Le Traité de Versailles décrète également que l’empire allemand se voit retirer ses colonies africaines dont les dettes sont annulées. À propos de cela, Sack cite une partie de la réponse faite par les Alliés à l’Allemagne qui n’était pas disposée à accepter cette annulation de dettes car cela supposait que ce soit elle qui allait devoir payer cette dette. Les Alliés répondirent : « Les colonies ne devraient être astreintes à payer aucune portion de la dette allemande, et devraient être libérées de toute obligation de rembourser à l’Allemagne les frais encourus par l’administration impériale du protectorat. En fait, il serait injuste d’accabler les indigènes en leur faisant payer des dépenses manifestement engagées dans l’intérêt de l’Allemagne, et il ne serait pas moins injuste de faire peser cette responsabilité sur les Puissances mandataires qui, dans la mesure où elles ont été désignées par la Société des Nations, ne tireront aucun profit de cette tutelle. » [16]
Cela s’applique intégralement aux prêts que la Banque a octroyés à la Belgique, à la France et à la Grande-Bretagne pour le développement de leurs colonies. En conséquence, la Banque mondiale et la Belgique ont agi en violation du droit international en faisant porter dans les années 1960 au Congo indépendant la charge de dettes contractées pour le coloniser.
La dictature de Mobutu a bénéficié du soutien de la Belgique
En plus des interventions militaires directes, la Belgique a envoyé au Congo pendant la dictature de Mobutu des hauts fonctionnaires qui l’ont conseillé. C’est le cas de Jacques de Groote qui, avant que Mobutu prenne le pouvoir, avait participé dans les premiers mois de 1960 à la table ronde belgo-congolaise préparant l’indépendance du Congo belge. Mobutu participait lui aussi à l’ouverture de la conférence de la Table ronde à Bruxelles. Entre avril 1960 et mai 1963, de Groote est l’assistant du directeur exécutif de la Belgique au FMI et à la Banque mondiale à Washington. Le 24 novembre 1965, Mobutu prend définitivement le pouvoir par un coup militaire en destituant le président Kasavubu. De mars 1966 à mai 1969, de Groote est conseiller économique du gouvernement de facto de Mobutu, il est également conseiller à la Banque nationale du Congo. Il joue un rôle actif dans la mise sur pied de la politique économique du pays ainsi que dans les négociations entre Mobutu, le FMI, la Banque mondiale et le gouvernement des États-Unis [17].
Entre 1965 et 1981, le gouvernement zaïrois a emprunté environ 5 milliards de dollars à l’étranger et, entre 1976 et 1981, sa dette extérieure fait l’objet de quatre restructurations au Club de Paris pour un montant de 2,25 milliards de dollars. L’entièreté de cette dette correspond parfaitement au concept de dette odieuse, par conséquent elle est nulle
De 1973 à 1994, Jacques de Groote a représenté la Belgique au Fonds monétaire international (FMI) et à la Banque mondiale. Il faisait partie du noyau de la classe politique belge tout en représentant les intérêts de celles-ci et de ses grandes entreprises privées dans les institutions internationales [18].
A la fin des années 1970, un fondé de pouvoir du FMI, Erwin Blumenthal, banquier allemand, ancien responsable du département des Affaires étrangères de la Bundesbank, réalise un rapport accablant sur la gestion du Zaïre de Mobutu [19]. Il avertit les créanciers étrangers qu’ils ne doivent pas s’attendre à être remboursés tant que Mobutu est au pouvoir.
Entre 1965 et 1981, le gouvernement zaïrois a emprunté environ 5 milliards de dollars à l’étranger et, entre 1976 et 1981, sa dette extérieure fait l’objet de quatre restructurations au Club de Paris pour un montant de 2,25 milliards de dollars (voir encadré sur l’évolution de la dette du Congo-Kinshasa pendant la dictature de Mobutu). L’entièreté de cette dette correspond parfaitement au concept de dette odieuse, par conséquent elle est nulle.
La très mauvaise gestion économique et le détournement systématique par Mobutu d’une partie des prêts n’ont pas amené le FMI et la Banque mondiale à arrêter l’aide au régime dictatorial de Mobutu. Il est frappant de constater qu’après la remise du rapport Blumenthal, les déboursements effectués par la Banque augmentent [20] (ceux du FMI également mais ils ne sont pas repris dans le graphique). Manifestement, les choix de la BM et du FMI ne sont pas déterminés principalement par le critère de la bonne gestion économique. Le régime de Mobutu est un allié stratégique des États-Unis et d’autres puissances influentes au sein des institutions de Bretton Woods (par exemple, la France et la Belgique) tant que dure la guerre froide.
CONGO-KINSHASA (ZAÏRE SOUS MOBUTU) : déboursements de la Banque mondiale
Source : Banque mondiale, CD-Rom, GDF, 2001
A partir de 1989-1991, avec la chute du Mur de Berlin suivie plus tard de l’implosion de l’Union soviétique, le régime de Mobutu perd de son intérêt. D’autant que dans beaucoup de pays d’Afrique (dont le Zaïre) se déroulent des conférences nationales qui mettent en avant la revendication démocratique. Les prêts de la BM commencent à diminuer pour cesser complètement au milieu des années 1990.
Sous le régime de Mobutu (1965-1997), le FMI et la Banque mondiale furent un instrument au service de la politique et de la géostratégie américaine pour récompenser Mobutu de son appui dans la guerre froide.
« Dans de nombreux cas, les prêts étaient destinés à corrompre des gouvernements pendant la guerre froide. Le problème n’était pas alors de savoir si l’argent favorisait le bien-être du pays, mais s’il conduisait à une situation stable, étant donné les réalités géopolitiques mondiales. »
Joseph E. Stiglitz (économiste en chef de la Banque mondiale de 1997 à 1999, prix Nobel d’économie en 2001), in L’Autre mondialisation, Arte, 7 mars 2000
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De ce fait, le FMI et la Banque mondiale, au sein desquels de Groote occupait un poste de haut responsable, se sont rendus complices des exactions contre les droits humains, économiques, sociaux et culturels que le régime de Mobutu a commises dans la mesure où ils continuaient à assister ce système dictatorial qui, pourtant, n’a pas honoré tous ses engagements financiers, loin s’en faut.
« La responsabilité morale des créanciers est particulièrement nette dans le cas des prêts de la guerre froide. Quand le FMI et la Banque mondiale prêtaient de l’argent à Mobutu, le célèbre président du Zaïre (aujourd’hui République démocratique du Congo), ils savaient (ou auraient dû savoir) que ces sommes, pour l’essentiel, ne serviraient pas à aider les pauvres de ce pays mais à enrichir Mobutu. On payait ce dirigeant corrompu pour qu’il maintienne son pays fermement aligné sur l’Occident. Beaucoup estiment injuste que les contribuables des pays qui se trouvaient dans cette situation soient tenus de rembourser les prêts consentis à des gouvernants corrompus qui ne les représentaient pas. »
Joseph Stiglitz, La grande désillusion, 2002
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Les ponctions dans les caisses de l’État furent une source stable et abondante d’enrichissement pour le clan Mobutu, à travers trois catégories de détournements : les dépenses légales comme la dotation présidentielle (opérée hors de tout contrôle), les dépenses illégales dont fait mention le rapport Erwin Blumenthal [21] (ce rapport secret fut rendu public en 1982), indiquant qu’il est impossible de contrôler les transactions financières réalisées par l’État, le bureau présidentiel faisant peu de différence entre les dépenses publiques et les dépenses personnelles. Erwin Blumenthal identifia, dans son rapport, au moins sept comptes détenus dans des banques étrangères, lesquels étaient utilisés pour réaliser des transferts directs sur les comptes personnels de Mobutu ou pour corrompre des acteurs politiques. Le message d’Erwin Blumenthal était clair : « La corruption érigée comme système caractéristique du Zaïre avec ses manifestations les plus malsaines, sa mauvaise gestion et ses fraudes, détruira toutes les tentatives de ressaisissement et de restauration de l’économie zaïroise par les institutions internationales, les gouvernements « amis » et les banques commerciales. Certainement, il y aura de nouvelles promesses de Mobutu, (…) mais aucune (je répète : aucune) perspective n’est offerte aux créanciers du Zaïre de recouvrer l’argent qu’ils y ont investi dans un futur prévisible » [22].
Depuis 1979, les principaux bailleurs de fonds du régime, très liés au FMI, avaient connaissance et conscience des pratiques frauduleuses et du risque qu’ils encouraient en continuant à prêter au régime Mobutu.
Une troisième catégorie de détournements consiste, selon l’étude, en « dépenses mystérieuses ». Un des postes importants du budget de l’État (environ 18 %, d’après une étude de la Banque mondiale en 1989) est celui d’« Autres biens et services », un fourre-tout qui contient peu d’informations sur les affectations de ces dépenses. Selon les experts de la Banque mondiale, la majeure partie de cet argent fut utilisée, notamment, pour des dépenses somptuaires ainsi que pour l’achat de matériel militaire. Cette information permet de souligner que la Banque mondiale également était bien au courant de l’utilisation illicite qui était faite notamment de ses propres prêts.
Depuis 1979, les principaux bailleurs de fonds du régime, très liés au FMI, avaient connaissance et conscience des pratiques frauduleuses et du risque qu’ils encouraient en continuant à prêter au régime Mobutu
Vers le milieu des années 1970, il était clair que l’argent transféré au Zaïre sous forme de dons ou de prêts était automatiquement détourné de leur objet initial. Ou bien ces dons ou prêts étaient directement transférés sur des comptes étrangers à titre personnel [23], ou bien ils étaient investis dans des projets de prestige, inadaptés et/ou inutiles qui permirent l’enrichissement de nombreuses personnes mais sûrement pas l’industrialisation durable de l’économie. Par exemple, d’après l’Office des biens mal acquis (OBMA), institué à l’issue des travaux de la Conférence nationale, Mobutu aurait pu empocher une commission de 7 % sur la valeur du projet de la centrale hydro-électrique d’Inga. L’enquête n’a pu aboutir à cause des résistances officielles [24].
J. de Groote pour le compte de la Belgique a activement soutenu le régime de Mobutu et est intervenu à plusieurs reprises pour améliorer les rapports entre le FMI, la Banque mondiale et Mobutu alors qu’il était très bien placé pour connaître dans le détail ce que dénonçait Blumenthal dans son rapport. Il avait également connaissance des très graves violations des droits humains auxquelles le régime de Mobutu se livrait.
En 1994, en fin de mandat, le haut fonctionnaire représentant la Belgique au FMI, Jacques de Groote se déclarera satisfait de son action à l’égard du Congo Kinshasa alors que l’écrasante majorité du peuple congolais vivait dans une profonde misère, la répression et les assassinats d’opposants étaient la règle et l’économie était exsangue.
ENCADRÉ : Évolution de la dette du Congo-Kinshasa pendant la dictature de Mobutu
De 1965 à 1969, le stock de la dette extérieure [25] est passé de 32 millions US$ [26] à 159 millions US$. C’est en 1970 qu’arrive le premier tournant. En effet, en cette seule année, le stock de la dette a augmenté de 180 millions US$, soit multiplié par deux. Le deuxième tournant intervient en 1973, lorsque les cours du cuivre et d’autres matières premières s’envolent sur les marchés internationaux. Les ressources budgétaires et les réserves de change sont importantes, ce qui permet au régime d’emprunter massivement. Ce sera l’expansion fulgurante de grands projets coûteux à rentabilité lointaine. Jusqu’en 1979, le stock de la dette augmente d’un peu moins de 700 millions US$ en moyenne par an et est majoritairement privé. Le problème récurrent de cette période tient au fait que ces sommes étaient utilisées pour des investissements générateurs de ressources (cash) dans un très lointain et donc très incertain avenir.
Ni le débiteur, ni le créancier n’ont respecté la discipline financière qui veut que les conditions de l’emprunt coïncident avec les caractéristiques du projet
Les secteurs comme l’énergie, le transport, la communication de même que les travaux publics sont indispensables pour le développement d’un pays, car ils constituent les prémisses du développement d’activités productives. Toutefois, ces projets ne furent pas basés sur la rationalité économique tant au niveau de l’expertise, du financement que de l’exécution.
Par exemple, les opérateurs zaïrois et, plus particulièrement, l’État zaïrois sollicitaient et obtenaient des organismes financiers (surtout privés) des crédits commerciaux onéreux et à court et moyen terme pour financer des projets dont la rentabilité ne sera visible qu’à très long terme. De tels investissements d’infrastructure devraient plutôt être financés par des emprunts dont le taux d’intérêt est faible, et surtout pas variable, et dont l’échéance de remboursement est la plus lointaine possible. Ce type de contrat n’existe réellement qu’entre les États, cette relation permettant des conditions privilégiées.
Ni le débiteur, ni le créancier n’ont respecté la discipline financière qui veut que les conditions de l’emprunt coïncident avec les caractéristiques du projet. Par exemple dans le cas du barrage d’Inga, destiné à produire de l’électricité pour la totalité du Zaïre et des pays voisins, le financement résulta d’un prêt à moyen terme selon des conditions commerciales. Or, la construction du barrage mit près de dix ans et on aurait dû estimer sa rentabilité au moins vingt à trente ans après. Il en résulte que la dette ne pouvait être remboursée que par la poursuite de l’endettement.
Petit à petit, la situation devient intenable et le Zaïre ne peut satisfaire les échéances de ses contrats d’emprunts. En plus des mauvais choix d’investissement, il faut ajouter l’augmentation des prix du pétrole ainsi que la diminution des prix du cuivre. Les pressions montent lorsque le Zaïre décide de stopper le paiement du principal et des intérêts de sa dette commerciale. Le FMI intervient et signe avec le Zaïre le premier programme de stabilisation qui comporte les conditionnalités habituelles telles que la dévaluation de la monnaie, la diminution des dépenses publiques et les garanties pour maintenir le service de la dette [27]. Ses créanciers lui permettent de différer les amortissements, en lui faisant ainsi bénéficier de rééchelonnements. Entre 1976 et 1981, la dette du Zaïre aura été traitée quatre fois au Club de Paris pour un montant total de 2,25 milliards US$ [28], et, entre 1976 et 1983, le Zaïre aura signé trois accords de Programme d’ajustement structurel avec le FMI. Il bénéficiera en 1983 d’un cinquième traitement de sa dette dont 1,490 milliards US$ auront été rééchelonnés.
Il est intéressant de constater à ce stade, les largesses du FMI à l’égard d’un pays mauvais payeur et ne respectant pas ses engagements conditionnels.
De 1979 à 1984, le stock de la dette augmente peu, le Zaïre essayant d’assurer le service de sa dette. Pendant cette période, le transfert financier est à peine positif. Les déboursements réalisés par les créanciers servent, en fin de compte, principalement à rembourser la dette.
De 1984 à 1990, le stock augmente de 70 % en prix constants. Entre 1982 et 1988, le FMI accorde 600 millions US$ de prêts, la Banque mondiale 650 millions US$, les gouvernements occidentaux 3 milliards US$ et les banques commerciales refusèrent de continuer à prêter. Pendant cette période, en dépit des avertissements du représentant du FMI, Erwin Blumenthal, le Zaïre est considéré comme l’élève modèle du FMI [29]. Cette complaisance de l’étranger s’explique par des considérations politiques et géostratégiques. Ainsi, malgré les avertissements de l’Ambassadeur états-unien sur la difficulté de contrôler l’affectation des aides, le régime obtient toutes les allégeances du gouvernement américain et le Président Ronald Reagan demande de doubler l’aide militaire pour remercier Mobutu d’avoir soutenu les troupes américaines au Tchad [30]. En 1987, le FMI, sous pressions américaines, approuve un prêt d’ajustement structurel malgré les objections fortes des seniors du FMI. Au même moment, Mobutu permettait aux troupes américaines d’utiliser son territoire et ses bases pour ses opérations en Angola [31].
Avant 1986, les sommes empruntées étaient principalement utilisées dans le remboursement de la dette et les possibilités d’investir furent faibles. Le budget d’investissement fut estimé à seulement 65 millions US$ en 1985 et il fut diminué, par la suite, à 40 millions US$. Plus tard les projets d’investissement recommencèrent à avoir la cote et le stock de la dette du Zaïre crût considérablement.
A partir de 1990, le régime de Mobutu commence à être isolé de la scène internationale. La chute du mur de Berlin marque la fin de la guerre froide et l’allié Mobutu perd de son intérêt. A partir de ce moment, les déboursements se font rares et le transfert net tend à être négatif à partir de 1990, comme l’atteste un rapport de la Banque mondiale (1996) [32]. Selon ce même rapport, en 1994, le Zaïre paya 201 millions US$ de plus que ce qu’il reçut des institutions financières. En 1991, le FMI rompt les relations avec le Zaïre, la Banque mondiale fera de même en 1993. Sans nouveaux déboursements étrangers, le Zaïre ne dispose plus de liquidités suffisantes pour satisfaire au remboursement de sa dette et il suspend le service en 1994. Les intérêts et les pénalités seront capitalisés, gonflant le stock de la dette.
La totalité de cette dette tombe sous le coup de la dette odieuse car elle a été contractée par la dictature de Mobutu. Elle aurait dû être entièrement annulée à la chute du régime de Mobutu.
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Les grandes entreprises privées belges ont systématiquement pu tirer avantage des relations de la Belgique avec le Congo
L’extrait du discours suivant se passe de commentaire, il a été prononcé en 1986 par Jacques de Groote devant un parterre de chefs d’entreprise de Belgique et publié dans le Bulletin de la Fédération des Entreprises de Belgique :
« Les avantages que la Belgique retire, comme tous les pays membres de la Banque mondiale, de sa participation aux activités des institutions du groupe, peuvent être mesurés par le flow back, c’est-à-dire le rapport entre, d’une part, le total des déboursements effectués par l’IDA (Association internationale de développement qui fait partie du groupe de la Banque mondiale) ou la Banque mondiale en faveur des entreprises d’un pays à l’occasion des contrats obtenus par ces entreprises et, d’autre part, les contributions de ce pays au capital de la Banque, ainsi qu’aux ressources de l’IDA. Le flow back, c’est donc un rapport entre ce qu’obtiennent les entreprises pour des ventes d’équipement ou des services de consulting et ce que la Belgique apporte comme contribution aux ressources de l’IDA et au capital de la Banque. Le flow back de la Banque mondiale vers les pays industrialisés est important et n’a cessé de s’accroître : il a progressé pour l’ensemble des pays industrialisés de 7 à 10 entre la fin de 1980 et la fin de 1984. C’est-à-dire que pour un dollar mis dans le système, les pays industrialisés en retiraient 7 en 1980 et 10,5 aujourd’hui. [33] »
Après la fin de son mandat au FMI et à la Banque mondiale
Dans une interview donnée à Béatrice Delvaux du journal Le Soir en mars 1994, à la fin de son mandat au FMI, Jacques de Groote se félicite du rôle qu’il a joué dans la décision de la Belgique de prendre le tournant néolibéral au cours des années 1980.
Béatrice Delvaux : « Vous avez cependant de Washington joué un rôle majeur sur l’orientation de la politique économique belge. Vous avez ainsi apporté la caution du FMI au changement de cap économique du début des années 80, en lien étroit avec le groupe « de Poupehan [34] ? » J. de Groote répond : « Absolument et je n’en suis pas peu fier. J’en suis même fort satisfait. Nous avons à l’époque réalisé des études qui ont permis de dégager les grandes options de la politique économique belge, discutées ensuite avec Alfons Verplaetse [35] et différentes personnalités dont Wilfried Martens [36] ».
L’attitude de la Belgique après la chute de Mobutu
Après la chute de Mobutu, malgré les appels du CADTM et d’autres organisations, les autorités belges n’ont rien fait pour aider le peuple congolais à récupérer l’argent que Mobutu et son clan avait mal acquis et placé en Belgique sous la forme de biens immobiliers ou mobiliers (liquides). Pourtant un pays comme la suisse avait fait des pas sérieux pour une fois dans cette direction. Mais les liens entre la classe dirigeante belge et le clan de Mobutu était tellement fort que rien de concluant n’a été fait alors que certains magistrats essayaient d’agir dans le bon sens.
Ensuite, la Belgique a participé à une opération de blanchiment de la dette odieuse accumulée par Mobutu. Au lieu de soutenir qu’il fallait l’annuler car illégitime, la Belgique s’est prêtée à la mise en place d’un mécanisme complexe où le peuple congolais était le perdant et les créanciers complices de l’ancien régime étaient gagnant.
Éric Toussaint
Source des 2 annexes :
Éric Toussaint, « Réponse à la lettre de Philippe, roi des Belges, sur les responsabilités de la Belgique dans l’exploitation du peuple congolais »
https://www.cadtm.org/Reponse-a-la-lettre-de-Philippe-roi-des-Belges-sur-les-responsabilites-de-la