• ♦ Powell et l’Irak : La démission qui aurait pu stopper l’invasion

     

     

    Le secrétaire d’État de Bush, Colin Powell, est décédé aujourd’hui à quatre-vingt-quatre ans des suites des complications du COVID-19.                                                                                                                                                           

    Un article du New York Times Magazine de dimanche nous explique comment la CIA a aidé à préparer les preuves pour l’invasion de l’Irak et pourquoi Colin Powell aurait dû démissionner plutôt que de s’y rallier.

     

    Le matin du 5 février 2003, j’étais dans mon bureau, une vieille cabine de radio surplombant la salle du Conseil de tutelle au siège des Nations Unies à New York, lorsque j’ai décidé de passer par une salle pour rejoindre la salle du Conseil de sécurité. J’ai suivi dans un couloir sur la gauche, bien au-dessus de la salle du Conseil, et je suis entré dans une cabine d’interprétation vide. J’ai observé la scène plus bas.

    L’espace était bondé, c’était la première fois que je voyais la galerie publique aussi pleine depuis 13 ans que je couvrais l’ONU. La tension palpable dans l’air était ce à quoi on pouvait s’attendre avant une corrida.

    Je pouvais voir le secrétaire d’État américain de l’époque, Colin Powell, dans la foule près de son siège à la table en fer à cheval du Conseil, en train de discuter avec d’autres diplomates. Je suis ensuite retourné à mon bureau pour regarder les Nations Unies s’affairer alors que les débats débutaient.

    Le secrétaire d’État a fait une présentation symbolisée par une photographie qui a fait le tour du monde et que j’ai immédiatement surnommée « l’infâme démonstration » de Powell. Elle le montrait à la table du Conseil de sécurité brandissant ce qu’il disait être un modèle de fiole d’anthrax, une arme biologique mortelle dont Powell prétendait que le leader irakien Saddam Hussein en avait une grande quantité.

                               

                                     L' »infame démonstration » de Powell au Conseil de sécurité avec le directeur de la CIA George                                          Tenet derrière lui. (Gouvernement américain)

    « Mon but aujourd’hui est de vous fournir des informations supplémentaires, de partager avec vous ce que les États-Unis savent sur les armes de destruction massive de l’Irak, ainsi que sur l’implication de l’Irak dans le terrorisme, qui fait également l’objet de la résolution 1441 et d’autres résolutions antérieures », a commencé Powell. La résolution 1441, adoptée par le Conseil de sécurité trois mois plus tôt, avait donné à l’Irak une dernière chance de faire face aux inspecteurs des Nations Unies dans le domaine des armes de destruction massive, sous peine de « graves conséquences ».

    « Mes collègues, chaque déclaration que je fais aujourd’hui est étayée par des sources, des sources solides », a déclaré M. Powell au Conseil. « Ce ne sont pas des affirmations. Ce que nous vous donnons, ce sont des faits et des conclusions basés sur des renseignements solides. »

    Les « faits »

    Parmi les « faits » et les « renseignements solides » que Powell a revendiqués figurait l’achat par l’Irak des désormais tristement célèbres tubes en aluminium qui, selon lui, devaient être utilisés dans des centrifugeuses dans le cadre des efforts de Saddam pour relancer un programme d’armes nucléaires.

    « Ces achats illicites montrent que Saddam Hussein est très concentré sur la mise en place de la pièce manquante clé de son programme d’armes nucléaires, la capacité à produire des matières fissiles », a déclaré Powell.

    Un autre « fait » majeur était que l’Irak disposait de « laboratoires mobiles de recherche biologique », selon un « major irakien qui a fait défection ».

    Les principaux médias américains étaient pleinement convaincus. « Irréfutable », lisait-on en titre d’un éditorial du Washington Post, qui disait :

    « Après la présentation du secrétaire d’État Colin L. Powell au Conseil de sécurité des Nations Unies hier, il est difficile d’imaginer comment quelqu’un pourrait douter que l’Irak possède des armes de destruction massive. M. Powell n’a laissé aucune place pour affirmer sérieusement que l’Irak a accepté l’offre du Conseil de sécurité d’une « dernière chance » de se désarmer. Les preuves de M. Powell, y compris les photographies satellites, les enregistrements audio et les rapports des détenus et autres informateurs, étaient accablantes. Le sénateur Joseph R. Biden Jr, le démocrate au rang le plus élevé de la Commission des relations étrangères, les a qualifiées de « puissantes et irréfutables ».

    Selon l’éditorial du New York Times :

    « Le secrétaire d’État Colin Powell a présenté hier aux Nations Unies et aux téléspectateurs du monde entier la démonstration la plus puissante à ce jour selon laquelle Saddam Hussein défie les résolutions du Conseil de sécurité et n’a aucune intention de révéler ou de rendre les quelconques armes non conventionnelles qu’il pourrait posséder. »

    Le Times a mis en garde : « Parce que les conséquences de la guerre sont si terribles, et que le coût de la reconstruction de l’Irak est si élevé, les États-Unis ne peuvent pas se permettre d’affronter l’Irak sans un large soutien international. »

    Malgré la présentation de Powell et l’adhésion des médias américains, tous les autres pays du Conseil de sécurité, à l’exception de la Grande-Bretagne et de l’Espagne, étaient très sceptiques quant à l’argument américain en faveur de la guerre, y compris les alliés que sont l’Allemagne et la France.

    Des rumeurs circulaient déjà au siège des Nations Unies selon lesquelles Powell n’avait pas entièrement adhéré à ce discours et avait passé la nuit précédente au siège de la CIA en Virginie à demander de meilleures preuves pour justifier une invasion américaine d’une nation souveraine.

    Blix et ElBaradei répondent

                                

                                 ElBaradei (à gauche) et Blix au Conseil de sécurité. 14 février 2003 (Photo ONU/Sophia Paris)

    Neuf jours plus tard, Powell était de retour au Conseil de sécurité le 14 février pour écouter un rapport de Hans Blix, président de l’UNMOVIC [Commission de contrôle, de vérification et d’inspection des Nations Unies, NdT], des inspecteurs de l’ONU spécialistes des armes, et de Mohamed ElBaradei, directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique, chargés de découvrir si l’Irak avait un programme d’armes nucléaires.

    Une fois de plus, la salle était bondée, y compris la galerie publique. Blix a déclaré au Conseil que les inspections se déroulaient sans entrave de la part de l’Irak. Il a déclaré :

    « Depuis que nous sommes arrivés en Irak, nous avons mené plus de 400 inspections couvrant plus de 300 sites. Toutes les inspections ont été effectuées sans préavis, et l’accès a presque toujours été fourni rapidement. En aucun cas, nous n’avons vu de preuves convaincantes que la partie irakienne savait à l’avance que les inspecteurs allaient venir. »

    Ce n’était pas ce que Powell voulait entendre.

    « Les inspections donnent des résultats. (..). L’option des inspections n’a pas été conduite jusqu’à son terme », a déclaré le ministre français des affaires étrangères, Dominique de Villepin. « L’usage de la force serait si lourd de conséquences pour les hommes, pour la région et pour la stabilité internationale qu’il ne saurait être envisagé qu’en dernière extrémité ».

    M. de Villepin a poursuivi :

    « Personne ne peut donc affirmer aujourd’hui que le chemin de la guerre sera plus court que celui des inspections. Personne ne peut affirmer non plus qu’il pourrait déboucher sur un monde plus sûr, plus juste et plus stable. Car la guerre est toujours la sanction d’un échec. Serait-ce notre seul recours face aux nombreux défis actuels ? Donnons par conséquent aux inspecteurs des Nations Unies le temps nécessaire à la réussite de leur mission ».

    Alors que Powell était assis en face de de Villepin, la galerie publique bondée a soudain poussé un rugissement d’approbation des propos tenus par le ministre français des affaires étrangères, les spectateurs se levant. Ce fut un moment qui définit les Nations Unies comme un ensemble de volontés internationales visant à s’opposer même aux puissants États-Unis, alors qu’ils étaient engagés dans une voie hégémonique et meurtrière, sans autre motif que celui de renforcer leur propre puissance.

    Selon The Guardian, Powell était furieux :

    « Colin Powell, secrétaire d’État américain et ancien président du Comité des chefs d’état-major interarmées des États-Unis, a quitté la salle du Conseil de sécurité et a descendu les escaliers roulants jusqu’à la salle de réunion du sous-sol. Il venait d’entendre Blix détruire pratiquement tout espoir de voir la deuxième résolution adoptée par le Conseil de sécurité. Il était furieux.

    Powell a ordonné aux fonctionnaires de réunir les « E10″, les dix membres élus du Conseil de sécurité. Il voulait que sa position soit claire. Avec Blair, il avait été l’homme qui avait persuadé Bush qu’une voie passant par l’ONU et la construction d’une coalition internationale était la trajectoire à suivre pour désarmer Saddam. Le président, après des réticences initiales, avait finalement accepté. Powell avait utilisé beaucoup de capital politique. »

    Dans la salle du conseil, Powell avait rejeté le briefing de Blix en déclarant qu’il s’agissait d’un simple « processus » et avait dit « ce ne sont là que des manoeuvres utilisées contre nous ». Il a ajouté : « Le fardeau est maintenant sur Saddam Hussein en ce qui concerne la question de savoir s’il y aura la guerre ou la paix. » La France et l’Allemagne se sont jointes à la Chine, à la Russie et à d’autres membres du Conseil pour demander que les inspecteurs disposent de plus de temps.

    Après son discours, lors de la réunion de la presse à l’extérieur de la salle du Conseil de sécurité, j’ai demandé à de Villepin ce qui pouvait être fait pour arrêter la guerre. Il a répété que la France et d’autres nations continueraient à soutenir le travail des inspecteurs de l’ONU.

    Quelques jours plus tard, je me suis retrouvé seul dans un couloir avec Sir Jeremy Greenstock, l’ambassadeur britannique auprès de l’ONU. La dynamique s’étant maintenant retournée contre les États-Unis et le Royaume-Uni, je lui ai demandé pourquoi, après 12 ans d’avancées progressives des inspections de l’ONU, alors que les inspections se poursuivaient, que les inspecteurs déclaraient n’avoir découvert aucune ADM (arme de destruction massive) importante et que l’Irak ne menaçait personne, y avait-il maintenant cette soudaine volonté de faire la guerre ?

    « Parce que Washington le demande », m’a répondu Greenstock dans un extraordinaire moment de franchise. C’était aussi simple que cela. Washington a dit : « Foncez ! » et Londres a foncé. Sauf que Berlin et Paris s’étaient exceptionnellement joints à Moscou et Pékin en disant « Non ».

                                                                                         

    Puis le 7 mars, Blix et ElBaradei ont de nouveau fait un rapport au Conseil de sécurité et ont contesté plus directement les « solides renseignements » de Powell. ElBaradei a plutôt réfuté solidement les « renseignements » de Powell sur les tubes en aluminium. Il a déclaré :

    « En ce qui concerne les tubes en aluminium, l’AIEA [Agence internationale de l’énergie atomique, NdT] a mené une enquête approfondie sur la tentative de l’Irak d’acheter de grandes quantités de tubes en aluminium à haute résistance. Comme indiqué précédemment, l’Irak a maintenu que ces tubes en aluminium ont été vendus pour la production de fusées.

    L’enquête approfondie sur le terrain et l’analyse de documents n’ont pas permis de découvrir des preuves que l’Irak avait l’intention d’utiliser ces tubes de 81 millimètres pour un projet autre que la rétro-ingénierie des fusées.

    Sur la base des preuves disponibles, l’équipe de l’AIEA a conclu que les efforts de l’Irak pour importer ces tubes en aluminium n’étaient probablement pas liés à la fabrication de centrifugeuses, et qu’en outre il était très peu probable que l’Irak ait pu réaliser la reconfiguration considérable nécessaire pour les utiliser dans un programme de centrifugeuses relancé ».

    ElBaradei a ensuite déclaré : « Les experts de l’AIEA qui savent comment utiliser ces aimants dans l’enrichissement par centrifugation ont vérifié qu’aucun des aimants que l’Irak a déclaré ne pouvait être utilisé directement pour les paliers magnétiques des centrifugeuses ». Et puis dans la réfutation la plus pointue du « renseignement » américain, ElBaradei a déclaré que l’histoire de l’importation par l’Irak d’uranium yellowcake [partiellement enrichi, NdT] du Niger était fausse. Il a dit au Conseil :

    « L’Irak a fourni à l’AIEA une explication complète de ses relations avec le Niger et a décrit une visite d’un fonctionnaire irakien dans un certain nombre de pays africains, dont le Niger en février 1999, qui, selon l’Irak, aurait pu donner lieu à ces rapports.

    L’AIEA a pu examiner la correspondance provenant de divers organes du gouvernement du Niger et comparer la forme, le format, le contenu et la signature de cette correspondance avec ceux de la documentation présumée relative aux achats.

    Sur la base d’une analyse approfondie, l’AIEA a conclu, avec l’accord d’experts extérieurs, que ces documents qui ont servi de base au rapport sur la récente transaction d’uranium entre l’Irak et le Niger ne sont en fait pas authentiques. Nous avons donc conclu que ces allégations spécifiques ne sont pas fondées ».

    Je suis sorti de mon bureau dans le couloir qui mène à une zone ouverte du bâtiment des conférences pour trouver Richard Roth de CNN et Catherine MacKenzie, l’attachée de presse de la mission britannique, en pleine conversation. J’ai annoncé qu’ElBaradei venait de « démonter » les histoires des tubes en aluminium et du « yellowcake » du Niger.

    « J’ai peine à croire que cela fera les gros titres », a déclaré Mme MacKenzie. Elle avait raison. La réfutation de la présentation de Powell du 5 février n’a pas fait les mêmes gros titres. Au lieu de cela, les médias américains et britanniques, en particulier à la télévision avec de nouveaux graphiques et de nouvelles musiques, ont commencé à accélérer la course effrénée vers la guerre.

    Les médias en déroute

    À cette époque, je couvrais les Nations Unies pour trois principaux organes de presse : une chaîne canadienne appelée Southam News qui publiait la Montreal Gazette, l’Ottawa Citizen, le Vancouver Sun et une douzaine d’autres journaux ; Independent Newspapers of South Africa, éditeurs de The Star (Johannesburg), The Pretoria News, The Cape Times et 14 autres journaux. J’étais également toujours en train de déposer une demande pour le Boston Globe et le Sunday Times de Londres auprès du correspondant de Washington avec lequel j’ai engagé des débats amicaux, mais vifs, sur le déclenchement de la guerre.

    Lorsqu’il est devenu évident que les États-Unis et la Grande-Bretagne n’obtiendraient pas la deuxième résolution autorisant une invasion, je rendais largement compte de la résistance internationale menée par les alliés des États-Unis, l’Allemagne et la France. Cela a été apprécié par mes rédacteurs en chef en Afrique du Sud. Mais ensuite, j’ai reçu un appel du rédacteur en chef étranger de Southam à Ottawa.

    Il m’a dit sans ambages que son fils était un Marine canadien et que je devais soutenir la guerre dans mes comptes rendus. Je lui ai dit que j’étais sûr qu’il était fier de son fils, mais que mon travail consistait à rendre compte de ce qui se passait au Conseil de sécurité.

    Le 19 mars, c’est Greenstock, qui deviendra l’adjoint du vizir américain Paul Bremer en Irak, qui a annoncé la fin de la diplomatie.

    J’ai quitté l’ONU, je suis rentré chez moi à 17 heures et je me suis traîné jusqu’à mon lit avec un sentiment de crainte que je n’avais jamais éprouvé. Plus tard, j’ai vu un correspondant de CNN à bord d’un navire de guerre américain se réjouir en disant « Bienvenue dans le choc et l’effroi ! » pendant que des missiles de croisière étaient tirés sur la capitale irakienne. Le lendemain, j’ai été informé par Southam News que j’avais été licencié. [NdT : La doctrine choc et effroi (de l’anglais Shock and Awe, ce qui peut aussi être traduit par « Choc et stupeur »), ou de « domination rapide », est une doctrine militaire basée sur l’écrasement de l’adversaire à travers l’emploi d’une très grande puissance de feu, la domination du champ de bataille et des manœuvres, et des démonstrations de force spectaculaires pour paralyser la perception du champ de bataille par l’adversaire et annihiler sa volonté de combattre (source : Wikipédia.]

    Le New York Times s’excuse

    La couverture belliciste dans les médias occidentaux a été si dure, et si peu de journalistes y ont résisté, qu’Ariana Huffington m’a inscrit dans son livre ‘Right is Wrong’ sur un « tableau d’honneur » des quelques journalistes qui n’ont pas gobé les mensonges de l’administration Bush menant à la guerre.

    Il a fallu plus d’un an après l’invasion pour que le New York Times, le 26 mai 2004, fasse un aveu monumental à ses lecteurs : il s’était trompé sur le sujet le plus important depuis une génération. En substance, le Times admettait qu’il avait du sang sur les mains, puisqu’il a succombé à l’hystérie de guerre et a joué un rôle dans la facilitation de la catastrophe en étant trop crédule envers les « sources de renseignement » et les transfuges irakiens opportunistes.

    Et maintenant, 17 ans après les faits, nous avons un compte rendu encore plus complet dans le New York Times Magazine expliquant comment le New York Times et le reste des grands médias enragés ont eu tort de croire des renseignements américains montés de toutes pièces justifiant le massacre de centaines de milliers d’étrangers innocents à des milliers de kilomètres des côtes américaines.

    L’article du Times Magazine qui sera publié en version imprimée dimanche par Robert Draper est intitulé « Colin Powell souhaite toujours des réponses ». Draper nous dit que Powell était opposé à l’invasion de l’Irak et pensait que l’idée était si ridicule qu’elle disparaîtrait d’elle-même. Le temps que Powell réalise que le vice-président Dick Cheney, le chef du Pentagone Donald Rumsfeld, la conseillère à la sécurité nationale Condoleezza Rice et d’autres étaient sérieux, il était trop tard.

    Draper offre cette explication d’une source anonyme de la CIA pour expliquer pourquoi l’agence a accepté les exigences de l’administration pour trouver les données sur Saddam : « La première chose qu’on vous apprend dans la CIA 101 [NdT : formation de base des nouveaux employés (source : Wikipédia], c’est que vous ne les aidez pas à monter un dossier », a déclaré un responsable de l’agence qui a participé au projet. Mais nous avons tous été infectés par le dossier de la guerre ».

    Comme le rapporte Draper, et comme l’explique aujourd’hui Ray McGovern, analyste de la CIA à la retraite, dans Consortium News, le directeur de la CIA George Tenet est venu au secours de Powell, lui conseillant de baser son discours à l’ONU sur une estimation du renseignement national d’octobre 2002 qui, selon McGovern, était destinée à « justifier » une guerre préventive contre l’Irak, où il n’y avait rien à anticiper ».

    Aujourd’hui, 17 ans plus tard, Powell n’a pas peur d’admettre qu’il a dit des choses dans ce discours au Conseil de sécurité dont il ne savait pas si elles étaient vraies ou non. Draper écrit : « Il a paraphrasé une phrase sur les prétendues armes de destruction massive de l’Irak, tirée de l’évaluation des services de renseignement qui avait servi de base à son discours aux Nations Unies, dont les responsables des services de renseignement lui ont assuré qu’elle était solide comme le roc : « Nous estimons qu’ils ont 100 à 500 tonnes d’armes chimiques, toutes produites au cours de l’année dernière. Comment pouvaient-ils savoir cela ? a-t-il dit avec une incrédulité caustique. »

    Draper a retrouvé les analystes qui ont écrit ce mémo et il rapporte : « Il n’y avait absolument aucune preuve que Hussein avait un stock d’armes chimiques. Les analystes de la CIA savaient seulement qu’il en avait déjà eu un, avant la guerre du Golfe de 1991… »

    Mais comme l’a affirmé Scott Ritter dans Consortium News aujourd’hui, Powell savait ce qu’il faisait : il était favorable au changement de régime et avait besoin d’une meilleure justification.

    Pourquoi n’a-t-il pas démissionné ?

    En avril 1980, un prédécesseur de Powell au Département d’État, le secrétaire d’État Cyrus Vance, a démissionné en opposition à la mission militaire finalement ratée du président Jimmy Carter pour sauver les otages américains en Iran. Un seul autre secrétaire d’État américain depuis la guerre civile avait démissionné publiquement en raison de sa conscience : William Jennings Bryan a quitté le cabinet de Woodrow Wilson en 1915 à cause de la politique agressive de Wilson envers l’Allemagne, a rapporté le Times le jour du départ de Vance.

    En pensant à Vance, je me suis longtemps demandé pourquoi Powell, s’il était si peu convaincu par les preuves, n’avait pas démissionné plutôt que de faire cette présentation du 5 février 2003 au Conseil de sécurité. Combien de vies aurait-il pu sauver dans une situation bien plus grave encore que celle qui a poussé Vance à démissionner ?

    Powell aurait pu se servir de la lettre de démission de Vance à Carter comme guide : « Vous ne seriez pas bien servi dans les semaines et les mois à venir par un secrétaire d’État qui ne pourrait pas vous offrir le soutien public dont vous avez besoin sur une question et une décision d’une importance aussi extraordinaire – quelle que soit la fermeté de mon soutien qui demeure sur d’autres questions, comme c’est le cas, ou la loyauté que je vous témoigne en tant que leader. »

                           

                           Powell rencontre Nixon en tant que compagnon de la Maison Blanche en 1973. (Wikimedia                                                 Common)

    J’ai toujours pensé que Powell était un militaire dans l’âme et qu’il n’a pas réagi comme un civil au poste diplomatique le plus élevé de la nation, qui n’est pas un poste militaire. Il n’avait pas à obéir au président de la même façon qu’un militaire à un poste militaire est subordonné au contrôle civil. Mais toute sa vie, Powell a été subordonné aux présidents dans des rôles variés.

    Après avoir servi le président Richard Nixon en 1973 en tant que compagnon de la Maison Blanche, Powell est devenu premier adjoint puis conseiller à la sécurité nationale du président Ronald Reagan de 1987 à 1989. Il a quitté ce poste pour devenir le 12ème président du Comité des chefs d’état-major interarmées au service des deux présidents George H.W. Bush (pendant la première guerre du Golfe) et Bill Clinton, de 1989 à 1993.

                                

                               Réunion sur le Golfe Persique entre Reagan et le conseiller à la sécurité nationale Powell en                                                  avril 1988 (Wikimedia Commons)

    Il est ensuite devenu secrétaire d’État du président George W. Bush en janvier 2001 jusqu’en janvier 2005, restant en poste pendant près de deux années complètes après la démolition de l’Irak.

    Powell n’est pas connu pour agir selon sa conscience ou pour contester l’autorité. En tant que jeune major de l’armée américaine servant à Saigon, pendant la guerre du Vietnam, Powell a été invité à enquêter sur une lettre écrite par un soldat de conscience qui faisait état d’un massacre perpétré par des soldats américains dans le village de My Lai. Powell a conclu par écrit que « Ce portrait est directement réfuté par le fait que les relations entre les soldats américains et le peuple vietnamien sont excellentes ».

    Lorsqu’il a été interrogé à ce sujet un an après l’invasion de l’Irak, le 4 mai 2004, par l’interviewer Larry King, Powell a déclaré « Je veux dire que j’étais dans une unité qui était responsable de My Lai. J’y suis arrivé après l’incident de My Lai. Donc, en temps de guerre, ce genre de choses horribles se produit de temps à autre, mais elles sont toujours à déplorer ».

    Et si …?

    Draper présente une hypothèse très utile sur ce qui aurait pu se passer si Powell avait démissionné plutôt que d’aller au Conseil de sécurité :

    « En raison de sa longue portée, le discours de l’ONU invite à l’une des hypothèses les plus poignantes de la présidence Bush. Et si cette même voix qui a publiquement proclamé la nécessité d’envahir l’Irak avait plutôt dit à Bush en privé que ce n’était pas simplement une invitation à des conséquences involontaires mais une erreur, comme il le pensait personnellement ? Et s’il avait dit non à Bush lorsqu’il lui a demandé de s’exprimer devant l’ONU ? Powell aurait presque certainement été obligé de démissionner, et beaucoup sinon tous les membres de son personnel de haut niveau impliqués dans la question irakienne auraient également démissionné ; plusieurs avaient déjà envisagé de le faire l’été précédent.

    Si les hauts responsables du Département d’État avaient quitté leurs bureaux, qu’aurait fait l’ami proche de Powell [le ministre britannique des affaires étrangères Jack] Straw ? « Si Powell avait décidé de démissionner avant la guerre en Irak », m’a dit Straw, « je l’aurais presque certainement fait aussi ». Le soutien de Blair au sein du parti travailliste se serait effondré – et si Blair avait retiré son soutien à la guerre sous la pression du Parlement ou s’il n’avait tout simplement pas réussi à obtenir un vote d’autorisation, le récit de l’effondrement de l’élan aurait dominé la couverture médiatique pendant des semaines. Les sceptiques dans les rangs supérieurs de l’armée américaine – il y en avait plusieurs – auraient été autorisés à s’exprimer ; les renseignements auraient été réexaminés ; les démocrates, maintenant libérés des pressions politiques des élections de mi-mandat, auraient très probablement rejoint le chœur.

    Cet effet domino nécessitait un premier geste du secrétaire d’État de Bush ».

    S’il avait démissionné et dénoncé l’information comme frauduleuse, les médias se seraient-ils retournés contre la guerre ? Cheney lui a dit qu’il était l’homme le plus populaire d’Amérique.

    La réponse de Powell à ce scénario possible a été la suivante :

    « Mais je savais que je n’avais pas le choix », m’a dit Powell. « Quel choix avais-je ? C’est le président. »

    « Je ne suis pas du genre à démissionner », a dit Straw. « Powell non plus. Et c’est bien là le problème. »

    « C’est le président », et il voulait un changement de régime.

    C’est le public en Irak et aux États-Unis qui a besoin de réponses, pas Colin Powell.

    Joe Lauria est rédacteur en chef de Consortium News et ancien correspondant aux Nations Unies pour le Wall Street Journal, le Boston Globe et de nombreux autres journaux. Il a été journaliste d’investigation pour le Sunday Times de Londres et a commencé sa carrière professionnelle en tant que pigiste pour le New York Times. Il est joignable à l’adresse joelauria@consortiumnews.com et peut être suivi sur Twitter @unjoe.

    Source : Consortium News, Joe Lauria
    Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

     

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