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♦ Nous nous battons au sujet de statues parce que nous n’apprenons pas les réalités de l’Histoire
Abattre des statues ne change pas l’histoire, mais peut contribuer à l’envoyer aux oubliettes et permettre de faire comme si « tout cela ne s’était jamais produit ». D’un autre côté, une statue est généralement érigée à des figures historiques positives, or nombre d’entre elles immortalisent des personnages plus que douteux. Que faire ? Tourner le dos aux iniquités de son histoire, c’est lui passer un coup de gomme mal venu. Laisser ces statues en place sous-entend une approbation envers les tristes sires qu’elles représentent. Le dilemme semble insoluble.
Nous admettons ne pas avoir la réponse, sinon qu’il y a un remède à l’oubli : mettre à l’honneur l’Histoire telle qu’elle n’est pas enseignée dans les écoles, à savoir telle qu’elle a été, avec ses exploits, ses grandeurs mais aussi ses zones d’ombre et ses épisodes honteux. Les statues ne sont qu’un détail.
Par Andrew Dickens
Paru sur RT sous le titre We’re fighting over statues because we don’t learn enough history, warts and all
L‘histoire ne s’ « efface » pas en abattant des statues. Elle a été effacée au fil des siècles par ceux qui sont au pouvoir. La seule façon de juger correctement le passé est d’enseigner TOUTE l’histoire, qu’elle soit bonne, mauvaise ou carrément hideuse.
Qui aurait cru que les gens s’intéresseraient autant aux statues en 2020 ? Des gens qui n’en avaient rien à faire il y a quelques semaines pensent maintenant qu’elles sont la meilleure ou la pire des choses. Des générations de professeurs d’histoire, de guides de musée et d’archéologues doivent se demander à quel moment ils se sont trompés.
Ce ne sont pas toutes les statues, notez – seulement celles de personnages historiques controversés. Beaucoup de ces personnages ont été défendus avec acharnement, la critique de leur vie a été condamnée ou balayée d’un revers de main, sans la moindre nuance. Certaines de ces critiques ont été formulées en termes très absolus, sans contexte ni équilibre. Certains ont affirmé que détruire une statue, c’est « effacer l’histoire », tandis que d’autres ont affirmé qu’il s’agissait de « marquer l’histoire ».
L’absolutisme du débat actuel est un problème sérieux, et nous en sommes tous coupables. L’Histoire ne traite pas de beaucoup d’absolus, pourtant. Elle est nuancée, compliquée, brumeuse, et pleine de gloire et de honte. Sans toutes ces informations, l’Histoire est dévalorisée, tout vrai jugement est impossible et les probabilités de conflits augmentent. Malheureusement, c’est la norme, et cela n’a rien à voir avec les statues.
Comme le dit le dicton, l’Histoire est écrite par les vainqueurs. Mais elle est aussi censurée par leurs successeurs. Les politiciens ont fait la queue pour se récrier sur le retrait de quelques sculptures, mais leur espèce – les classes dominantes et les communautés dominantes – effacent l’Histoire depuis que nous avons commencé à l’écrire.
Enfant britannique, à l’école et à la télévision, j’ai appris l’héroïsme des deux guerres mondiales, des discours exaltants de Winston Churchill jusqu’au sacrifice courageux de jeunes hommes sur le front occidental et sur les plages de Normandie. Les rôles de l’URSS et des États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale étaient à peine évoqués.
Je n’ai pas appris les vues ouvertement suprémacistes blanches de Churchill, le massacre de civils antinazis qu’il a ordonné à Athènes en 1944, ni sa participation à la famine des Indiens « bestiaux » lors de la famine du Bengale en 1943.
J’ai appris les victoires épiques contre les Français à Azincourt et à Waterloo. J’ai lu sur les grandes dynasties royales, la révolution industrielle et l’invasion normande (tout le monde en Angleterre est très fier de ne pas avoir été envahi depuis près de 1000 ans). J’ai appris notre grand passé naval, avec des explorateurs intrépides comme Cook, avec des marins rusés comme Drake qui a fait tomber la puissante Invincible Armada espagnole.
Je n’ai pas appris les crimes coloniaux comme le massacre d’Amritsar ou les camps de concentration en Afrique du Sud et au Kenya (les camps kényans ont eu lieu dans les années 50, donc nous n’avions clairement pas appris grand-chose de la Seconde Guerre mondiale). Je n’ai rien appris sur l’esclavage.
Et ce n’est que lorsque j’ai rencontré ma femme irlandaise et que je me suis intéressé à l’histoire irlandaise que j’ai appris les crimes odieux commis par le gouvernement britannique sur (à l’époque) ses propres citoyens. La famine, les incarcérations et, vous l’avez deviné, encore d’autres massacres – avec aussi Churchill dans le rôle principal. Je n’avais rien appris à l’école sur l’histoire de l’Irlande du Nord.
Je suis sûr que les enfants américains apprennent comment Christophe Colomb a découvert leur pays. Ils ne sont probablement pas informés de l’esclavage sexuel des enfants que lui et ses hommes pratiquaient, ou du fait qu’il donnait des bébés natifs américains à manger aux chiens.
Ainsi, mon pays a fait du bien, du mal et du discutable – et c’est le cas pour chaque pays, chaque gouvernement et chaque individu. Mais on nous enseigne si peu de choses qu’il est presque impossible de jauger de l’équilibre entre les trois.
Ce manque d’information fausse notre opinion. Lorsque nous en apprenons davantage, nous pouvons nous sentir trahis, en colère, voire honteux, et cela nous biaise à nouveau.
Je sais que je ne cesse de mentionner Churchill, mais sa statue et son héritage sont devenus essentiels à toute cette question. Pour beaucoup, ses efforts en temps de guerre contre l’Allemagne le rendent intouchable. Pour d’autres, ses crimes font de lui un démon. Peut-être devrait-il simplement être Churchill.
Pour tuer la toxicité de ce débat, les gouvernements doivent enseigner l’Histoire avec toute ses zones d’ombre. Si les faits étaient connus de tous, il y aurait moins de bagarres au sujet de statues et de noms de rues. Éduquez les gens honnêtement et peut-être que les discussions seraient un peu moins mélodramatiques et que les progrès seraient plus rapides.
L’Histoire est en grande partie publique, mais à moins que quelqu’un ne vous dise ce que vous devez chercher, vous ne la trouverez jamais.
Andrew Dickens est un auteur primé spécialisé en culture, société, politique, santé et voyages. Il travaille pour des titres tels que le Guardian, le Telegraph, l’Independent, le Daily Mail et Empire.
Traduction et note d’introduction Corinne Autey-Roussel pour Entelekheia
Photo : Statue de Winston Churchill, Parliament Square, Londres http://www.entelekheia.fr/2020/06/11/nous-nous-battons-au-sujet-de-statues-parce-que-nous-napprenons-pas-les-realites-de-lhistoire/« Documentaire : Century of the Self (Le Siècle du Moi)♦️Hirak et néocolonialisme, l’anathème et l’invective comme unique débat »
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