-
♦Le jeu de mémoires, l’enjeu de l’histoire
« L’histoire est le produit le plus dangereux que la chimie de l’intellect ait élaboré » Thucydide Historien athénien
L’histoire est un fait têtu et non pas un libre commentaire d’historien. On ne joue pas avec. « C’est un produit dangereux ». Ça ne sera pas à un rapport de 146 pages blanches pauvrement remplies d’encre et de style mi-figue, mi-raisin de pouvoir effacer 132 années horriblement remplies de noir et de sang.
Je ne peux parler d’histoire que de la mienne, celle qui a endeuillé ma mère en ce 8 mai 1945, voyant son père, son oncle et son neveu abattus par des soldats.
Elle me racontait cette atroce journée. Benjamin ne parle pas de mes grands-parents ni de ceux des autres, il survole le siècle à coup de stylo. L’histoire dans sa nouvelle version si l’on ose dire doit concerner cette Algérie que lin nommait «Algérie française « c’est là où se trouve toute la trame des malheurs qui se tractent à ce jour. Inutile de vouloir arrêter le train de l’histoire lorsqu’on se prend toujours pour le maître-conducteur.
L’Algérie n’a pas besoin d’un rapport qui s’est écrit sur les bords de la Seine, le sien s’est vécu dans les monts, les oueds, les zones interdites, les dechra incendiées, les Aurès, Djurdjura et l’Ouarsenis. L’écriture de l’histoire ne peut s’habiller de fausses vertus ou de mauvaise fierté, c’est une question douloureuse qui n’est plus personnelle une fois vécue collectivement par toute une communauté. Elle embrase pour longtemps l’avenir malgré la fraîcheur des blessures qu’un simple couac diplomatique peut les rouvrir.
Alors, la victime n’attend pas grand-chose du bourreau. Pas même un rapport qui aspire à tenir lieu de pansement. Les phrases creuses ne cicatrisent pas les blessures, seuls l’aveu, le remord, disons la repentance peuvent et encore attiédir le mal qui subsiste toujours et persévère à nicher ses ecchymoses sur les parois de la mémoire nationale. Le peuple algérien, sa jeunesse peut procéder à se mettre un temps dans une case d’oubli mais jamais dans le déni de ce qui s’est passé. Dans son rapport l’historien respecté un temps chez nous, retrace l’évolution de la sémantique officielle utilisée et donnée à « l’histoire « du qualificatif de « troubles « d’ «événements» …. à celui carrément de « guerre » et là aussi, il invoque une nuance sournoise pour amalgamer entre « guerre d’Algérie « et « guerre en Algérie « arguant qu’une guerre est présumée se faire entre deux belligérants ,soit deux Etats indépendants, alors que cette « guerre » à son sens s’est passée en Algérie, considérée alors comme territoire français.
D’où son « guerre en Algérie ». En l’état de ces baroques définitions, il aurait mieux fait de dire « une guerre civile », entre citoyens français tout simplement. Voire entre un Etat français et un groupe de rebelles, de terroristes, de fellagas, de felouzes, de bandits, d’insurgés et de hors-la-loi. Mitterrand en visite dans les Aurès le 29 novembre 1954 parlait de « tentative insurrectionnelle manquée ». Devant l’assemblée nationale le 12 novembre 1954 il discourait que « l’Algérie c’est la France, que les départements de l’Algérie sont des départements de la république française » pour un temps après le même homme déclare à Alger « la France historique salue l’Algérie indépendante ». Après quoi est-elle devenue indépendante ?
La réponse justement est dans cette histoire, tissée de sacrifices, de lutte et de martyre. Ainsi dans ce sillage de déclarations, tous ses successeurs ont eu à faire autant, selon le baromètre électoral du moment. Le chemin est donc long, très long autant, béantes sont encore les déchirures .Le temps est encore court pour tenter de s’introduire dans ce qui s’apparente à un gros combat non seulement de mémoire mais aussi de moral. Ce dernier n’est pas disponible du tout à invoquer ce qui ne lui permet pas d’être au bon fixe. On ne peut tourner la page si facilement quand le sombre livre toujours ouvert nous renseigne d’un hier pas trop brillant.
Sur un autre registre, le rapport espérant venir à bout du désenclavement de ce dossier mémoriel brûlant, avait réussi là où le silence officiel du pouvoir français à ce propos l’avait laissé aux bouts des lèvres. Savoir d’une façon tranchante et catégorique et déclarer que la France « ne présentera pas ses excuses »et se contentera de fournir des « gestes symboliques » est en soit une atteinte à l’approche de réconciliation.
Il valait mieux continuer à se taire et tapir sa face, face à une vérité historique indéniable. Le colonialisme criminel, meurtrier et génocidaire. Le colonialisme ne peut avoir d’autres sens selon les humeurs du moment. Il ne peut aussi avoir d autres noms flexibles et amovibles selon la nationalité des uns ou des autres. Le colonialisme ne peut avoir de facettes civilisationnelles. On osera un jour le prendre pour mission humanitaire, un partenariat unilatéral, forcé. L’Algérie a été colonisée, conquise, prise, dépouillée, violée par la France. Cela a duré 132 ans. Souffrances, tortures, misères, assassinats, enfumades ont émaillée cette « œuvre civilisationnelle»
Il a bien suggéré l’édification en France d’une stèle à la mémoire de l’Emir Abdelkader, une bonne chose en soi, et pourquoi pas une autre pour Mostefa Benboulaid, Amirouche ou Didouche ? Ou bien baptiser l’une des avenues de Paris ou de Béziers au nom de Djamila Bouhired ou Malika Gaid ? Ces héroïnes algériennes que l’on appelait « les poseuses de bombes » ou l’une ou l’autre des esplanades des gares de l’Est ou de Saint Lazare au nom de Helene Cuenat ou Francis Johnson, que l’on appelait « les porteurs de valises » Des personnalités ont été citées dans le cadre des « révoltes populaires » et du « mouvement nationaliste » et pas un mot, un nom des glorieux héros de novembre 1954 l’entièreté de la fierté algrienne. Bizarre non, alors que c’est ici et là que toute la quintessence de notre histoire se situe ?
Réconcilier les mémoires dites-vous ? Ce n’est pas un jeu de mots ou une simple embrassade entre deux présidents mortels. On n’efface pas d’une signature ce que la monstruosité coloniale gravée en lettres de sang sur le roc d’un peuple héroïque. Chaque visage exprime par ses rides une mémoire encore vivace d’une rive à l’autre.
Il y a une profusion de témoignages, d’écrits, de films, de reportages et d’aveux de ceux-là même, francais qui ont fait la sale guerre. Ils essayent de soulager leur conscience pour ne plus se morfondre dans les remords d’un contingent obligatoire ou dune mission honteuse qui les pourchasse jusqu’à présent ou dune mission honteuse qui les pourchasse jusqu’à présent. De ceux-ci le rapport n’en dit mot, ne les tirent pas en référence. Proposer de célébrer un 19 mars comme journée des harkis ressemblerait à la condition où la France actuelle s’autorisait avec fanfares à fêter le 10 juillet 1940, date de la promulgation de la loi constitutionnelle donnant plein pouvoir au maréchal Pétain. Ce genre d’êtres humains dans les postions historiques nous, nous les appelons harkis, à l’équivalence de collaborateurs.
A lire la presse algérienne, l’on sent encore le souffle de la révolution de l’indépendance chez tout citoyen. L’oubli est un produit qui ne se fabrique pas du jour au lendemain. Les excuses seraient difficiles à les prononcer, de surcroît à la veille d’une élection présidentielle qui nécessairement doit se planter dans un décor historique. On vous a compris. L’Algérie algérienne est une pilule amère à l’avalement notamment chez les nostalgériques. Quelle que soit la longueur de la nuit, le soleil finira par se lever aurait dit un Victor Hugo apprécié.
Cette opiniâtreté à s’accrocher à sa propre mémoire légitimée du reste par la négation des uns des conditions dramatiques des autres n’exclut nullement un rapprochement entre les peuples. Bachir hadj Ali disait déjà en 1960: « Je jure sur la raison de ma fille attachée…Je jure sur la patience de ma mère…Je jure sur l’intelligence et la bonté d’Ali Boumendjel et le front large de Maurice Audin mes frères mes espoirs brisés en plein élan….Que nous n’avons pas de haine contre le peuple français ». Pour s’assurer d’un avenir meilleur, il faudrait que le présent soit dépassionné pour pouvoir convoquer le passé. Car, l’on peut croire manipuler facilement les gènes du futur mais jamais ceux du passé. Il sera là, intact et tel que vécu.
Pour dire vrai qu’il n’appartient à nul historien ayant un soupçon d’analyse ou de déchiffrement documentaire de se prévaloir champion ou maitre de telle ou telle histoire de nation. Sans aucune prétention de ma part de vouloir apporter une critique académique au « rapport » de Benjamin Stora dont je n’ai ni le « patrimoine archivistique» emprisonné ni l’outil pédagogique d’exploitation dont il dispose, seulement j’énonce librement ma frustration d’ex-colonisé.
Voyez-vous l’algérien est issu d’une sève toujours généreuse comme la terre qui a vu naitre ses entrailles. Il suffit à un tord commis pour se faire oublier à défaut de pouvoir s’effacer une confession sincère blâmant par reconnaissance sa commission.
-Dieu nous accorde le pardon que sur un seul repentir- Si le « rapport » écarte brutalement, par orgueil d’empire toute issue à tout repentir, du moins pour le moment , attendons d’autres « rapports » et œuvrons à « la paix des mémoires » sans en faire un jeu ni la faire par souci politico-économique ou la faire habiller dangereusement d’un enjeu historique.
par El Yazid Dib
« ♦Raphaël Glucksmann ou la nouvelle escroquerie de la gauche libérale et atlantiste♦ Une Algérienne au-dessus de tout soupçon ! »
-
Commentaires