• ♦ La déshumanisation de Yahya Sinwar dans la psyché collective israélienne

    Yahya al-Sinwar, responsable du mouvement Hamas [résistance islamique] dans la bande de Gaza - Photo : Archives

     

    Y a-t-il une chance que les dirigeants du Hamas soient des êtres humains ? Y a-t-il une chance que nous reconnaissions cela ? Depuis sa fondation, Israël a diabolisé ses ennemis. Dans les années 1960, lors des festivités de Lag Ba’Omer sur la place Malkhei Yisrael de Tel Aviv, nous avons brûlé Gamel Abdel Nasser en effigie.

    Nous l’appelions « le tyran égyptien » et n’avons jamais écouté ce qu’il avait à dire. Yasser Arafat et l’OLP étaient aussi des non-humains, bien sûr. À ce jour, la langue hébraïque ne connaît pas les termes « parti palestinien » ou « armée palestinienne ». Il n’y a rien de tel. Nous avons nos Forces de défense israéliennes, et eux n’ont que des organisations terroristes.

    C’est sûrement ce qu’est le Hamas. Pas de projets caritatifs et sociaux, pas de mouvement politique, pas d’élections internes et pas de soldats, seulement des terroristes. Son chef doit donc être un archi-criminel !…. Cela explique pourquoi le discours répétitif et écœurant en Israël sur leur assassinat, leur liquidation ou leur élimination est légitime. Aussi légitime que de raser leurs maisons et de tuer des membres de leur famille.

    Prenez Yahya Sinwar, par exemple. Les commentateurs israéliens affiremnt qu’il est cruel. Est-il plus cruel que les pilotes de l’armée de l’air israélienne qui, plus tôt ce mois-ci, ont largué des dizaines de bombes sur des immeubles résidentiels et tué 67 enfants ? C’est difficile à dire. Y a-t-il plus de sang sur ses mains que sur celles de certains commandants de Tsahal ? Douteux. Est-il plus courageux, plus disposé à faire un sacrifice que les dirigeants israéliens ? Assurément.

    Personne n’est prêt à l’admettre. Sinwar est l’ennemi, il n’est donc pas humain. Son interrogateur du service de sécurité du Shin Bet a affirmé qu’il n’avait aucun sentiment, le commissaire adjoint du service pénitentiaire israélien qui l’a interrogé avant sa libération en 2011 a déclaré qu’il était un lâche. Il en va sûrement de même du commandant militaire du Hamas Mohammed Deif : dépeindre ce phénix comme un guerrier audacieux, même après avoir perdu un œil, un bras et les deux jambes, ainsi que sa femme et leurs deux jeunes enfants ? Vous êtes fou? Deif est le diable… Sinwar aussi…

     20 août 2014 – Le tout jeune fils de Mohamed Deif, tué avec sa mère dans une attaque aérienne… Israël se sent assez fort pour assassiner des civils sans défense avec des avions de chasse ultra-performants – Photo : MEM

     

     Il est impossible de mettre en cause cette attitude tellement primitive, mais il est possible de proposer une lecture différente de la situation. Par exemple, que ce sont des êtres humains là-bas, à Gaza, avec des aspirations et des rêves, des faiblesses et des défauts, et des qualités admirables aussi.

    Par exemple, que le Hamas a aussi des objectifs justes, qui devraient peut-être être reconnus et peut-être pris en considération. Que peut-être eux aussi ne veulent pas passer leur vie entière à tuer et à risquer d’être tués, et ne veulent pas détruire Israël tous les jours, ou du moins ils savent qu’il n’y a aucune chance pour cela.

    Sinwar a passé 22 ans en prison, un peu moins que Nelson Mandela. Il y a appris l’hébreu, et c’est dommage que les Israéliens ne puissent pas l’entendre dans cette langue. En hébreu, il sonnerait forcément plus humain. En hébreu, il a dit un jour au journaliste israélien Yoram Binur qu’il était prêt à discuter d’une hudna à long terme, ou d’une trêve, avec Israël, et peut-être que les prochaines générations avanceront à partir de là.

    Vous n’avez pas besoin d’être un fan du Hamas, une organisation peu sympathique, pour vous rappeler que Sinwar et Deif ont grandi dans le camp de réfugiés de Khan Yunis. Combien d’Israéliens savent à quoi ressemble la vie là-bas ? Est-ce un endroit d’où pourrait émerger un seul amoureux d’Israël ? Un descendant d’exilés dont la vie et la vie des familles ont été détruites par Israël – par l’expulsion, la dépossession, le statut de réfugié, la pauvreté, la prison, les bombardements et 15 ans de siège ?

    La lutte du Hamas est une lutte désespérée entre un miséreux et un pouvoir régional. Il est facile de lui dire de renoncer à la voie militaire, qui est sans espoir et n’apporte que plus de souffrances à son peuple.

    Mais la terrible vérité est que ce n’est que lorsque le Hamas tire sur Israël que le monde manifestent un quelconque intérêt pour Gaza. Seulement à ce moment-là. mais quand les canons cessent de gronder, tout le monde oublie Gaza. Elle peut alors retourner à sa suffocation.

    J’ai vu Sinwar apparaître au grand jour après le début du cessez-le-feu. Les commentateurs ont dit qu’il s’entourait de civils parce qu’il était un lâche. Il est certainement plus courageux que Benjamin Netanyahu et Benny Gantz, avec leurs appareils sécuritaires hermétiques. En termes de justesse de sa cause aussi, il a le dessus sur ses geôliers et ses conquérants – même lorsque les moyens qu’il utilise sont condamnables, tout comme ceux de ses ennemis.                                                                                                                                                                                                                                                                                           Par Gideon Levy                                                                                                                                         La déshumanisation de Yahya Sinwar dans la psyché collective israélienne (chroniquepalestine.com) 

     

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